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Pasionaria et artiste : qui était FRIDA KAHLO ?

Artiste et militante, icône de la femme moderne éprise de liberté, Frida Kahlo a façonné une œuvre, imprégnée de la tradition mexicaine, à travers laquelle elle rêvait d’un monde nouveau.
Par Diane Zorzi

Deux ans avant de s’éteindre à Coyoacán, au Mexique, Magdalena Carmen Frida Kahlo (1907-1954), alors alitée, s’attelle à l’une de ses dernières œuvres, le Congrès des peuples pour la Paix, exécuté à l’occasion du 3ème Congrès qui, à Vienne en décembre 1952, réunit intellectuels et hommes politiques, principalement d’obédience communiste, promouvant les droits fondamentaux contre toute forme d’impérialisme. Au centre, un arbre fruitier, sur lequel s’attarde la colombe de la paix, sépare une nuit étoilée à gauche d’un ciel ensoleillé à droite – la connaissance face à l’obscurantisme. Usant d’un style naïf, l’artiste livre un plaidoyer en faveur de l’héritage indigène du Mexique qu’elle évoque à travers la représentation au sol de pastèques, des fruits introduits dans les Amériques depuis le continent africain. Emprisonnée dans son corset, Frida Kahlo rêve, sa vie durant, d’un monde nouveau, et entend mener, au moyen de pinceaux et couleurs, une lutte pour la paix et la liberté des peuples – Frieda signifiant la « paix » en allemand.

« Frida la bancale »

Si son nom semblait lui réserver une vie paisible, Frida Kahlo ne goûte à cette quiétude que lors de ses jeunes années à Coyoacán, dans la « Casa Azul », une bâtisse coloniale construite par son père, un émigré allemand arrivé au Mexique en 1890 qui, photographe, lui transmet l’art de la mise en scène. Une poliomyélite, contractée à 6 ans la prive du plein usage de sa jambe droite, avant qu’un tragique accident en 1925 ne lui laisse plus qu’un corps morcelé. La jeune femme, âgée de 18 ans est percutée par un tramway alors qu’elle sillonne Mexico à bord d’un autobus avec son ami Alejandro. « Frida la bancale » est retrouvée étendue sur la chaussée, dans un état de semi-conscience, le pied écrasé, les jambes brisées, l’abdomen et la cavité pelvienne transpercés par une barre de fer. La jeune étudiante en médecine vit désormais recluse sur un lit d’hôpital, avec pour seuls compagnons Proust, les livres d’art et bientôt une boîte de couleurs que sa mère lui apporte en guise de distraction. Munie d’un chevalet pliant, d’un pinceau et d’un miroir, encastrés dans le baldaquin de son lit, Frida Kahlo ne cesse dès lors de peindre, croquant son entourage, avant de se livrer à l’art de l’autoportrait, immortalisant les métamorphoses de son être : « Je me peins moi-même parce que je suis si souvent seule ». Enfant, déjà, elle avait expérimenté cette dualité, désormais picturale, inventant une amie imaginaire lorsque sa maladie la contraint à l’isolement.

La peinture comme exutoire

À partir de ce corps handicapé, Frida Kahlo construit un répertoire visuel, de nature à exprimer sa souffrance physique et émotionnelle. Ainsi, au gré de ses autoportraits suit-on sa convalescence, ponctuée de périodes particulièrement douloureuses, à l’instar des années 1940 durant lesquelles la jeune femme, meurtrie dans sa chair et son âme, se dépeint en une figure quasi christique, les yeux emplis de larmes et le corps nu, corseté et transpercé de clous (La Colonne brisée). Mais ses autoportraits sont surtout l’expression d’une profonde résilience, l’artiste se présentant toujours avec dignité, la tête droite et le regard altier. Ses tenues, les couleurs, motifs et symboles employés sont autant d’éléments qui fondent son univers créatif, qualifié volontiers de « naïf », et traduisent son émerveillement, malgré la douleur, devant les joies et les beautés du monde. Pour Frida, la peinture est un exutoire.

« Je suis née ici »

Dans ses autoportraits, Frida Kahlo célèbre la culture de son pays, peuplant ses compositions de motifs issus du folklore et se dépeignant vêtue de costumes traditionnels. Cet attachement au patrimoine mexicain, elle le doit à sa mère, métisse d’origine espagnole et indigène de la région d’Oaxaca, qui lui transmet dès son plus jeune âge le goût pour les étoffes mexicaines, de même qu’à l’univers créé par ses parents dans la Casa Azul, emplie d’objets d’art populaire, de sculptures préhispaniques ou de peintures votives. À l’approche de la vingtaine, la jeune femme affirme sa mexicanité en adoptant l’habit et la coiffure des femmes de Tehuantepec. Elle revêt des jupes longues et blouses brodées aux tons chamarrés, de lourds bijoux précolombiens, des châles tissés dits « rebozos » et des rubans ou fleurs pour parer sa chevelure. « Je m’habille pour le Paradis », dit-elle. Son style Tehuana fascine bientôt de grands photographes américains qui l’immortalisent alors qu’elle accompagne en 1930 aux États-Unis son époux, l’artiste Diego Rivera, sollicité pour des commandes de fresques à San Francisco, New York et Detroit. Très vite, dans ce « Gringolandia » déshumanisé, la jeune femme qui, après deux interruptions de grossesse apprend qu’elle devra renoncer à la maternité, éprouve une nostalgie à l’égard de son pays, ainsi qu’en témoigne son Autoportrait à la frontière du Mexique et des États-Unis. Au centre, Frida Kahlo, vêtue d’une robe de gala et reconnaissable à ses sourcils en « forme d’ailes d’oiseau », tient, à droite, une cigarette américaine et, à gauche, un drapeau mexicain. De part et d’autre, des symboles de la culture américaine, avec les usines Ford en activité ou les gratte-ciel, s’opposent aux artefacts mexicains, à l’instar du crâne emblématique de la fête des morts. À la fumée des usines répondent les nuages du Mexique, aux machines la végétation luxuriante, à une pyramide précolombienne des bâtiments modernes et dénués d’âme. C’est pourtant à New York que Frida Kahlo voit sa carrière propulsée avec le succès de sa première exposition monographique.

Magdalena Carmen Frieda…

Bien que tumultueuse, marquée par maintes infidélités, un divorce et un deuxième mariage, la relation qu’entretiennent les époux Rivera est passionnelle, le couple partageant tant l’amour de l’art que des idéaux politiques. Frida Kahlo, encouragée par son amie la photographe Tina Modotti, a rejoint le Parti communiste mexicain en 1928 et entend mener une lutte contre les inégalités, tant de genre, dans un pays encore marqué par le patriarcat, que de classe. « Je veux faire partie de la révolution pour transformer le monde en un monde sans classes, où les classes oppressées vivent dans de meilleures conditions ». En 1937, le couple, de retour au Mexique, accueille à la Casa Azul le révolutionnaire russe Léon Trotski, qui a obtenu l’asile politique du président Lázaro Cárdenas del Río, et son épouse. Une liaison secrète se noue entre Frida Kahlo et le fondateur de la IVe Internationale, à l’issue de laquelle elle offre à son amant un émouvant Autoportrait dédié à Léon Trotsky. Résolument indépendante, Frida Kahlo refuse d’intégrer le groupe des Surréalistes lorsqu’André Breton, en visite en Mexique, l’enjoint à rejoindre l’aventure. « On pensait que j’étais surréaliste, mais ce n’était pas le cas. Je n’ai jamais peint mes rêves. J’ai peint ma réalité ». De passage à Paris, invitée pour des expositions, l’artiste ne dissimule pas son dégoût à l’égard des intellectuels parisiens qui « lui donnent envie de vomir », à l’exception de Marcel Duchamp – « le seul de tous ces pourris qui est un vrai mec ». Cet esprit transgressif et détonnant séduit, participant à façonner l’identité si singulière de cette icône moderne et inspirant à André Breton une comparaison délicieusement évocatrice : « L’art de Frida Kahlo est comme un ruban autour d’une bombe », un ruban qu’elle s’évertua, sa vie durant, à maintenir délicatement noué et coloré.

Au-delà des apparences

Loin des clichés qui entourent sa personnalité, l’exposition « Frida Kahlo, au-delà des apparences » propose aux visiteurs d’entrer dans l’intimité de l’artiste, et de comprendre comment elle s’est construite une identité à travers la manière de se présenter et de se représenter. Pour la première fois en France et en étroite collaboration avec le Museo Frida Kahlo, l’exposition rassemble plus de 200 objets provenant de la Casa Azul : vêtements, correspondances, accessoires, cosmétiques, médicaments, prothèses médicales… Ces effets personnels ont été mis sous scellés au décès de l’artiste, en 1954, par son mari le peintre muraliste mexicain Diego Rivera, et ont été redécouverts cinquante ans plus tard, en 2004. Cette précieuse collection – comprenant des robes traditionnelles Tehuana, des colliers précolombiens que Frida collectionnait, des exemplaires de corsets et de prothèses peints à la main… – est présentée, avec des films et photographies de l’artiste, pour constituer un récit visuel de sa vie hors-normes. Dans un parcours à la fois biographique et thématique, l’exposition retrace la manière dont l’artiste a façonné, tel un manifeste, son image nourrie par son héritage culturel et par son expérience du genre et du handicap.

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