Avec des œuvres qui témoignent de poésie, de délicatesse et d’élégance par l’hommage qu’il rend à la nature et sa résilience, Dan Rawlings, par une lecture profonde du monde, invite chacun à s’interroger.
Par Gabrielle Gauthier
Par ses sculptures, émouvantes allégories sculpturales organiques, Dan Rawlings ouvre les voies de l’imaginaire et de la réflexion. Véritables expériences visuelles, sensorielles, spirituelles et symboliques, ses œuvres engagées convoquent sur notre rapport au monde, à la société industrialisée, à la nature, alors même que l’Homme en est un des éléments parmi d’autres. Sculptant des pièces de métal dévoré par la rouille par une découpe complexe, il fait naître des œuvres végétales ciselées. Jouant des ombres et de la lumière, ces dentelles métalliques suscitent l’émotion, invitant chacun à se remettre en question.
D’où vous vient votre passion pour les vieux outils, la ferraille, la rouille et la corrosion ?
J’aime les bâtiments abandonnés, leur histoire mais aussi l’esthétique de la rouille et de la corrosion qui démontre l’impermanence de toute chose avec, en substance l’idée que la vie est éphémère et qu’il faut en profiter ! Voir ainsi la nature envahir des zones industrielles autrefois très fréquentées procure un sentiment de calme. Quand j’étais jeune, nous avions l’habitude d’explorer une usine abandonnée, un temple pour les graffeurs de Londres, de l’Essex et de tout le Royaume-Uni. La juxtaposition d’œuvres éphémères et de murs en décrépitude m’a fortement influencé. J’étais étonné de la rapidité avec laquelle les pièces s’effaçaient et étaient remplacées. Dans ma jeunesse, j’y allais au moins une fois par semaine. J’y ai rencontré des personnes étonnantes et beaucoup appris sur le graffiti et l’art en général.
Comment est née l’idée de sculpter les objets en métal rouillé ?
Cela découle de mon intérêt pour les bâtiments et outils industriels. Je voulais trouver un moyen d’espérer. J’ai passé beaucoup de temps à m’informer sur les dégâts que nous causons à l’environnement, sur la crise du capitalisme… Et comme la plupart des œuvres de l’époque étaient axées sur le côté sombre de la situation, j’ai imaginé une vision plus pacifique de l’avenir du monde où la nature reprendrait ses droits.
Pourquoi avoir choisi de les sculpter en « dentelle » inspirée des végétaux ?
Sur une échelle de temps suffisamment longue, tout finira par retourner à la terre, par se décomposer en des éléments « fertiles ». J’aime cette idée. Je suppose que c’est ma façon de visualiser cette réappropriation. Nous avons l’impression d’être indestructibles mais en réalité, nos sociétés comme notre espèce sont fragiles, ce que reflète mon travail en « dentelle ».
Comment arrivez-vous à offrir au métal une telle finesse ?
Je suis un obsessionnel du détail et je trouve un grand plaisir à rendre mon travail aussi crédible que possible.
En quoi cette fragilité apparente sert-elle également votre objectif ?
En réalité, tout est fragile, il suffit d’avoir les bons outils ! Depuis toujours, je suis fasciné par la façon dont la rouille ronge le métal. La rouille est comme une chose vivante qui consomme le métal qu’elle peut atteindre. Dès que vous arrêtez d’entretenir un pont, un véhicule… elle est là. C’est très similaire à la façon dont les plantes repoussent le béton. En quelques années, un parking sans entretien est ainsi totalement recouvert de plantes, d’herbe… Il y a pour moi un lien évident et j’essaie d’en jouer dans mon travail.
Quels liens établissez-vous entre ces objets métalliques et les motifs issus de la nature que vous composez ?
Je sculpte toujours les plantes des friches industrielles, celles que l’on peut voir pousser au bord des voies ferrées ou des parkings, celles qui envahissent et se protègent avec leurs épines. J’aime les imaginer reprenant le contrôle et surmontant les tentatives entreprises pour les supprimer.
Quels messages peut-on ou doit-on lire face à cette opposition ?
J’ai toujours été conscient du mal que nous faisons à notre terre mais aussi qu’elle a plusieurs fois connu de grands bouleversements. À moins que nous ne commencions à agir et à changer nos habitudes, nous finirons par rendre cette planète impropre à la vie humaine. Pour autant, cela ne signifie pas nécessairement la fin de la planète, ce sera juste un nouveau bouleversement.
Votre découpe du métal joue aussi beaucoup avec la lumière. Quel rôle joue-t-elle ?
J’aime les ombres créées par les plantes et les arbres et je ne considère mon travail terminé que lorsque les ombres sont crédibles. Certaines de mes pièces sont prévues dès le départ pour créer des ombres, par exemple la série de panneaux routiers. Inspirée par deux photos d’un terrain avant et après qu’une route et ses panneaux routiers aient remplacé une forêt et ses incroyables chênes, cette série y répond. J’ai ainsi imaginé les phares des voitures projetant les ombres des arbres abattus… les fantômes de la forêt.
Travailler les métaux rouillés, considérés comme indestructibles, est-ce votre façon de rappeler à chacun la temporalité de toute chose ? La résilience de la nature ?
Exactement. L’être humain est obsédé par l’idée d’éternité. Pour ma part, je crois que nous devrions passer davantage de temps à nous demander si ce que nous fabriquons doit s’inscrire dans la durée.
Imaginez que, dans quelques milliers d’années, seuls les plastiques et autres déchets dangereux soient tout ce qu’il reste de notre société… un héritage déplorable, non ?
Est-ce pour pointer le déséquilibre entre l’Homme et la Nature ?
Oui mais pas uniquement car nous faisons partie de cette nature ! Nous avons cette étrange habitude de nous considérer comme différents, en dehors et au-dessus de la nature, mais nous sommes tous faits des mêmes atomes. Si nous nous considérions comme faisant partie de la nature et si nous essayions de vivre en harmonie avec la flore et la faune dont nous dépendons, nous pourrions mener une vie bien plus enrichissante. J’espère ainsi influencer la façon dont les gens traitent l’environnement.
Travailler sur des enseignes de grandes entreprises est-il un moyen de critiquer notre société ?
Nous avons tous une responsabilité individuelle et égale dans le changement climatique. Pour autant, de nombreuses multinationales ont pris des décisions catastrophiques pour l’environnement uniquement pour augmenter leurs profits, à commencer par l’industrie pétrochimique dont la responsabilité est immense. Les dirigeants savaient depuis longtemps que les dommages environnementaux seraient irréversibles. Pourtant, ils n’ont opéré aucun des changements qui auraient pu éviter les problèmes auxquels nous sommes désormais confrontés.
Ne craignez-vous pas de perdre votre innocence en étant aujourd’hui un artiste reconnu ?
Je n’ai rien d’innocent. Je suis donc très reconnaissant d’avoir pu séduire un public avec mes œuvres. C’est dans mon studio, lorsque que crée, que je suis le plus heureux. Et plus il y a d’occasions de montrer mon travail, mieux c’est pour moi. J’ai tellement d’idées à concrétiser que je n’ai pas l’intention de ralentir de sitôt.
Il y a quelque chose de poétique dans votre démarche artistique. Est-ce conscient ou inconscient ?
Je suis toujours très flatté quand on décrit mon travail comme poétique. Je suis dyslexique/neurodivergent et j’ai du mal à écrire, mais la poésie est une véritable passion. Alors que l’on décrive mon travail comme visuellement poétique me rend très heureux !
Quels sont vos projets ?
Je suis toujours prudent lorsqu’il s’agit de parler de projets futurs…, une sorte de superstition je suppose. Je travaille actuellement sur des plans pour deux ou trois œuvres qui sont pour moi un défi et qui, je l’espère, me tiendront occupé cette année. Je prépare également un solo show pour septembre avec la Galerie Chenus Longhi au Château Lamaziere à Cormeilles-en-Parisis. Je suis très excité d’avoir l’occasion d’y présenter mon travail. Je suis également l’artiste invité du festival musical Hidden Notes [les 24 et 25 septembre à Stroud dans le Gloucestershire, NDLR], avec une exposition de mon travail dans une galerie mais aussi une de mes sculptures qui illuminera la scène derrière les groupes qui se produiront. Cette année, la tête d’affiche est Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead, avec son orchestre. Pour moi, c’est un rêve devenu réalité.