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Parlons-en !

MANOLO VALDÉS, explorateur de la matière et de l’histoire

Comme certaines de ses œuvres, cet artiste espagnol est un monument… de talent, d’inspiration, de passion, d’imagination mais aussi de sens du partage.
Instagram : @manolovaldes

Beaucoup de Parisiens ont découvert le travail de Manolo Valdès en 2021, à l’occasion de l’exposition « Monumentales Égéries » dans l’espace public, où dix sculptures géantes ont envahi l’avenue Georges V. Mais les amateurs éclairés connaissent depuis longtemps l’œuvre de cet artiste présent dans les collections muséales les plus importantes : le MoMA et le MET à New York, le Centre Pompidou à Paris, le Kunstmuseum à Berlin, le musée Reina Sofia à Madrid… Après avoir intégré dès 1957 – à 15 ans seulement – l’école des Beaux-Arts de San Carlos à Valence, où il rencontre ses futurs compagnons du collectif Equipo Crónica (Rafael Solbes et Joan Antoni Toledo), le jeune Valdés entame une carrière d’artiste peintre, d’abord en trio puis en solo à la mort de son ami Solbes en 1981. Depuis, il développe une approche artistique très personnelle, revisitant les chefs-d’œuvre du passé en les confrontant à une multitude de techniques.

Avez-vous toujours su que vous alliez devenir artiste ?
Alors que j’étais étudiant à Valence, j’avais 15 ans et je suis venu à Paris pour visiter le Musée d’art moderne – Beaubourg n’existait pas encore. J’ai découvert Soulages qui peignait avec un bout de bois, Raushenberg qui exposait un aigle empaillé. Je me suis dit que je n’allais pas acheter leurs œuvres et que j’allais faire les miennes [rires]. Et j’ai découvert la liberté ! Tout au long de ma vie, je n’ai fait que la conserver. J’ai testé toutes les possibilités, toutes les matières, tous les possibles.

Dès vos débuts, vous avez adopté une démarche narrative qui n’était pas forcément dans les courants de l’époque. Pourquoi ce choix ?
Ce n’était pas vraiment conscient. Je faisais quelque chose de différent, mais ce n’est qu’à travers le regard des autres que j’ai compris que ce que je faisais avait un nom. Cette question de l’originalité, ce n’est pas volontaire, c’est quelque chose qui arrive. Quand quelqu’un est depuis aussi longtemps que moi dans le milieu artistique, on constate qu’il y a des artistes d’horizons culturels très différents qui font la même chose.

Vous avez commencé dans un collectif. Pourquoi être passé à un travail solitaire ?
Par obligation ! Nous n’avions pas décidé de former une équipe, c’est arrivé naturellement. Quand l’une des personnes avec qui je travaillais a disparu, je n’ai pas eu envie de reconstruire quelque chose avec quelqu’un d’autre. Mais j’ai été confronté à un problème : j’ai dû prendre mes décisions seul et cela ne m’a guère été évident. La collaboration, fréquente dans d’autres univers culturels comme l’architecture, la musique ou le cinéma, l’est moins dans le monde des plasticiens. Je ne sais pas pourquoi… Mais j’ai gardé un défaut de cette époque : quand je débarque dans l’atelier d’un collègue, je ne peux m’empêcher de faire des commentaires et des suggestions. Heureusement, ils le comprennent et le prennent bien [rires].

Est-ce qu’il y a une « spanish touch » dans votre art ?
Je n’en suis pas conscient. J’ai de nombreuses influences venant de partout, mais il y a naturellement une partie de mon travail qui regarde beaucoup la culture espagnole, notamment Vélasquez auquel j’ai été confronté très tôt par proximité géographique. J’ai passé beaucoup de temps au Prado à Madrid. Mais mes analyses du travail de Velasquez ne sont plus les mêmes qu’à 18 ans.

Au début de votre carrière solo, vous avez « revisité » des œuvres de Vélasquez, mais aussi de Picasso, Matisse, Van Eyck. Des références qui sont toujours présentes dans vos œuvres actuelles ?
Mon travail a naturellement évolué mais il l y a toujours une allusion à l’histoire de l’art dans toutes mes toiles. De la même façon qu’un peintre s’inspire d’un paysage, je m’inspire des tableaux du passé. Je dis souvent que Picasso m’a donné l’autorisation de mettre ses yeux dans mes toiles. C’est un jeu de piste que je m’amuse à partager avec le spectateur.

Est-ce que cela signifie qu’il faut avoir une connaissance de l’Histoire de l’art pour apprécier votre travail ?
Pas du tout. Je ne demande jamais au spectateur de trouver le point de départ de mon inspiration. Si quelqu’un a les références, il peut s’en servir, mais ce n’est pas une condition nécessaire pour accéder à l’œuvre. Chacun peut l’interpréter avec son univers. Quand j’ai installé des sculptures dans l’espace public à New York, il y avait une différence très nette. Dans le centre-ville, à côté de l’Opéra, les gens ont vu que la coiffure de l’une d’elles était une allusion à Calder. À Spanish Harlem, on trouvait que cela ressemblait au chapeau de Lady Gaga. Et tout le monde avait raison. [rires].

Dans vos œuvres récentes, on trouve plusieurs sculptures en verre. Que vous apporte ce matériau ?
C’est une référence à l’art des vitraux mais c’est aussi un matériau que les Égyptiens travaillaient déjà dans l’antiquité. Ils n’avaient aucune connaissance technique… et moi non plus [rires]. C’est sans doute pour cela qu’il y a une proximité dans la texture de leurs œuvres et les miennes. Mais la méconnaissance peut devenir un avantage et amener à des résultats surprenants. L’une des caractéristiques assez particulière du verre est la durée des temps de séchage. Une sculpture de 600 kilos met ainsi 4 mois pour refroidir.

Vous avez donc développé votre savoir-faire de manière empirique ?
Comme c’était difficile de gérer la fabrication dans d’autres structures, j’ai décidé d’acheter des fours, afin de tout maîtriser. Cela me permet de réaliser mes propres expériences, en dehors de toute orthodoxie. Par exemple, pour les couleurs, j’ai commencé par ajouter des pigments, puis à intégrer des verres de récupération lorsque la teinte me plaisait. Aujourd’hui, dans mon atelier, j’ai plus de bouteilles vides que de pigments. Ce qui est intéressant, c’est que le verre industriel comporte des résidus qui donnent de la puissance en se mélangeant au verre. C’est un processus que je ne peux pas contrôler. Mais j’ai des intuitions.

Vous avez aussi mis au point une technique d’inclusion particulière ?
Au lieu de travailler la transparence, j’utilise un verre déjà opaque dans lequel j’introduis des matériaux. Par exemple, pour la tête de Christ, une réinterprétation d’une peinture de Georges Rouault, j’ai utilisé cette méthode pour représenter les blessures. Pour obtenir des effets prévisibles, je dois inclure des matériaux qui fondent à une plus haute température que le verre. afin qu’ils ne se mélangent pas avec le verre en fusion.

Vous présentez aussi des sculptures en bois avec un aspect bien particulier. Avez-vous un secret ?
J’utilise des traverses de chemin de fer. D’abord parce que, avec le passage des trains ce bois est compressé, très dense. Ensuite parce que la présence de produits chimiques, notamment les traitements contre les insectes, permet d’obtenir des effets de texture très intéressants. Enfin parce que le matériau brut est très beau. C’est la raison pour laquelle je laisse le bois dans son état originel à l’arrière des sculptures. Quand on les expose, il faut pouvoir en faire le tour. J’ai aussi peint des bois polychromes, qui sont une tradition dans toute l’Europe, mais en utilisant de la laque. J’avais vu une exposition de laques japonaises et j’ai eu envie d’explorer cela.

Aujourd’hui, vous avez toujours autant d’envie de créer et de chercher ?
Toujours ! Et je suis pressé, parce que j’ai de moins en moins de temps devant moi. Quand on me demande si j’ai des idées, je réponds que non, mais j’ai des projets… pour les quatre-vingts ans qui viennent.


À voir
« Manolo Valdés – Œuvres récentes »
Jusqu’au 13 octobre 2022
Du lundi au samedi de 10h à 19h, dimanche de 11h à 19
Opera Gallery
62 rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris
operagallery.com
Instagram : @operagallery

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