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Parlons-en !

JEAN-PIERRE MALTESE, le maître de la couleur

Avec ses toiles lumineuses, vives et chaleureuses, au graphisme minimaliste entre abstraction et figuration, ce coloriste d’exception distille l’émotion et provoque l’imaginaire.

À voir
« Maltèse – Peintures »

Du 18 mars au 6 mai 2023
Lundi de 14h à 19h, du mardi au samedi de 10h à 13h et de 14h à 19h
Galerie Estades
61 quai Saint-Vincent 69001 Lyon
estades.com
Instagram : @galerieestades

« Jean-Pierre Maltèse est un artiste insatiable et curieux ». Cette phrase de son galeriste et ami Michel Estades, qui lui ouvre les portes de galerie lyonnaise, résume parfaitement la personnalité attachante de cet artiste installé à Toulon depuis plus de 58 ans. Avec un savoir-faire nourri de ses expériences multiples – la peinture, mais aussi la sculpture, la céramique et, plus récemment, la gravure –, Jean-Pierre Maltèse a développé une œuvre d’une grande modernité et d’une profonde sensibilité.

Vous avez une longue histoire avec votre galeriste, Michel Estades…
Je l’ai connu lorsqu’il était encore adolescent, en 1977 ! Il suivait l’un de mes cours de céramique. Nous nous sommes perdu de vue et je l’ai retrouvé des années plus tard, en 1998, quand il a ouvert sa première galerie à Lyon. Je lui ai proposé de voir mes toiles… et, depuis 35 ans, je suis un peintre de sa galerie !

Le nouveau livre qui vous est consacré s’appelle Les couleurs en majesté. Est-ce un bon résumé de votre approche artistique ?
Avec Michel, nous l’avons choisi ensemble. Donc la réponse est oui, bien sûr. La couleur est le sujet de toutes mes toiles, avant même d’être un paysage, une marine ou une nature morte… qui ne sont que des prétextes à une composition en couleurs et en harmonies, mais aussi à descendre dans les recoins les plus secrets de l’âme. Peindre, c’est ce mettre à nu.

Ce goût de la couleur est-il intimement lié à la Provence ?
Pas uniquement. Il est lié à la Provence, bien sûr, mais aussi à la Tunisie où je suis né et que j’ai quitté quand j’avais douze ans. J’en garde des souvenirs un peu flou, des formes, des contrastes, des teintes un peu délavées. Et Toulon m’a apporté d’autres couleurs depuis 58 ans. Le lien, c’est la mer.

Vous aimez citer la phrase de Paul Klee, « abstrait mais avec des souvenirs ». Est-ce une bonne définition de vos toiles ?
Sans doute. J’ai commencé par des aquarelles sur le vif, des natures mortes en atelier, du nu d’après modèle vivant… Aujourd’hui, je ne peins plus que d’après mes souvenirs. J’observe beaucoup, je lis les formes et j’essaie de les rendre sur la toile, en simplifiant bien sûr beaucoup. Cela s’est fait petit à petit.

Comment abordez-vous cette approche entre figuratif et abstraction ?
J’ai toujours aimé le flou. J’ai été impressionniste, j’ai eu un coup de cœur pour Monet, Manet, Sisley… Et l’un de mes vieux maîtres, Jacques Bartoli, était encore plus flou qu’eux [rires]. La première fois que je lui ai montré un tableau, il a trouvé que c’était beaucoup trop figuratif. Il a trempé ses mains dans l’essence et il a badigeonné la toile, ajouté des taches et des couleurs. Ce fut le déclic et cela m’a ouvert un chemin… sans refaire du Bartoli. Mais je ne souhaite pas être totalement abstrait. J’ai essayé mais cela ne me plaisait pas. Il me faut un sujet mais que l’émotion arrive avant le sujet.

Est-ce aussi un moyen de permettre à chacun de lire sa propre histoire dans vos tableaux ?
Je n’impose pas de lecture de mes toiles puisqu’il n’y a de sujet figuratif réel. Chacun peut avoir sa propre lecture, avec sa culture, ce qu’il sait ou ne sait pas, de l’histoire de l’art. J’aime cette phrase d’André Gide : « un tableau est un espace à émouvoir ». Il faut trouver de l’émotion. Un jour, j’exposais à Paris et une dame laisse son mari et son bébé pour entrer dans la galerie et me dire : « Vos tableaux, vos couleurs, c’est un plaisir, c’est une joie ». Ce jour-là, j’ai été payé de mon travail.

L’œuvre d’art doit permettre de prendre conscience de l’élévation de l’âme, de la l’émotion par la beauté, de la beauté par la couleur.

Jean-Pierre Maltèse

Vous avez déclaré « le peintre n’est qu’un lien entre ce qu’il ressent et ce qu’il fait ». N’est-ce pas une vision un peu trop modeste ?
Je ne crois pas. Le peintre a un don, une sensibilité, qui lui permet de faire un lien avec la vie. On reçoit et on retransmet en peinture. L’œuvre d’art doit permettre de prendre conscience de l’élévation de l’âme, de la l’émotion par la beauté, de la beauté par la couleur. C’est déjà un privilège, vous ne croyez pas [rires] ?

Le soleil carré dans vos toiles est un symbole très fort pour vous…
C’est venu naturellement peu de temps après la disparition de mon fils. Je le rends ainsi présent dans toute mes toiles. Et c’est devenu une signature. Je suis peut-être le seul à faire des soleils carrés et non pas ronds [rires]. Mais je ne veux pas qu’il prenne trop de place. Il est là mais ne doit pas trop s’imposer.

Comment travaillez-vous votre palette de couleurs ?
Je pars ce que j’appelle la couleur-mère, celle qui sera la plus présente dans le tableau. Tout doit tourner autour de cette couleur et des complémentaires, plus ou moins chaudes ou plus ou moins froides. Mais c’est elle qui fait le lien. Et j’ai gardé une technique en souvenir de Bartoli et aussi par habitude : je n’aime pas peindre sur une toile blanche alors je passe toujours un jus, un ocre rouge avant de commencer.

Vous avez une approche plutôt technique de la composition…
Je « géométrise » ma toile. Je place le centre pour éviter que le sujet soit au milieu et je trace ensuite un carré, en rapportant la longueur à la largeur. Souvent, je place un élément, un personnage à l’angle de ce carré et je pose également les points correspondant aux tiers ou au nombre d’or pour l’équilibre. Ensuite, je réalise un dessin au fusain que j’efface pour qu’il ne reste que les traces. Alors je peux commencer à peindre.

Vous comparez votre approche technique au travail des gammes pour un musicien. Peindre, est-ce improviser librement ?
En fait, j’évoquais mon travail sur la couleur. J’ai un cahier où j’essaie plusieurs mélanges. Ce sont un peu des notes avec lesquelles je peux jouer. C’est libre mais très réfléchi. Mais comme en musique, il faut être attentif à l’harmonie, qu’il y ait un chemin dans le tableau. Le spectateur pose son regard sur le sujet et chacun suit ensuite son parcours : certains lisent en chaud, d’autres lisent en froid. Il ne faut laisser aucune couleur isolée. Pour moi, il est difficile de mettre le mot « fin » sur une toile. Alors je peins plusieurs toiles en même temps. Je laisse sécher, les sors parfois de l’atelier pour l’accrocher dans mon salon et, s’il le faut, je les reprends. Mais je ne repeins pas dessus ; au contraire, je gratte, je gratte beaucoup [rires].

Avoir travaillé la gravure a-t-il apporté une nouvelle dimension à votre travail…
Un jour, je voulais faire un arbre et, au lieu de le peindre, je l’ai gravé. J’ai tracé le trait comme une pointe sèche sur une plaque de cuivre. On peut avoir des outils de toutes les largeurs, un bout de bois, un morceau de fer, n’importe quoi. Je les utilise pour dessiner, et aussi pour faire des stries dans les à-plats de couleur. Cela donne de la matière et, selon l’éclairage, amène des ombres.

Que présentez-vous dans cette nouvelle exposition ?
Des toiles plus abstraites, aux couleurs un peu plus affirmées et de plus de traits gravés. J’ai aussi peint en format carré, 100 x 100 cm, qui offre plus de liberté parce qu’il n’y a pas d’axe de vue imposé. C’est le reflet de mon travail actuel. On évolue. Je ne vais pas rester fixé sur un système. La grande joie, c’est quand on trouve autre chose… qui vous appartienne [rires].