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Événements

Quand l’ART DÉCO naviguait entre la France et l’Amérique

Lorsque l’Art Déco voyage de la fin du XIXe siècle aux années 1930 entre la France et l’Amérique du Nord dans un dialogue dynamique, il influence alors notablement l’ensemble des arts.

Cité de l’architecture et du patrimoine
Palais de Chaillot
1 place du Trocadéro 75116 Paris

Du mercredi au lundi de 11h à 19h, nocturne jeudi jusqu’à 21h
Prix : 12 €
citedelarchitecture.fr

« Art Déco France / Amérique du Nord »
Jusqu’au 6 mars 2023

Style artistique, architectural et décoratif iconique et populaire, l’Art Déco se caractérise notamment par un travail de la ligne, de l’ornementation, des arrondis ou encore des motifs floraux. Succédant à l’Art Nouveau, l’Art Déco se déploie d’abord dans l’architecture mais aussi dans le mobilier et les Beaux-Arts. Ainsi, dès les deux dernières décennies du XIXe siècle, l’école des Beaux-Arts de Paris forme une centaine d’architectes américains et canadiens. Venus trouver dans la formation française l’art de la composition et de l’ornementation, cette « Internationale des Beaux-Arts » offre les fondements des échanges à venir. À leurs retours d’Europe, ces architectes construisent et meublent les buildings Art Déco des métropoles américaines. Quelques architectes français sont dès cette époque appelés outre-Atlantique pour dispenser leurs enseignements et édifier des bâtiments majeurs du patrimoine nord-américain, à l’image de Paul Cret qui, à partir de 1907, participe à la réalisation du « palais » de la Pan American Union Headquarters. En ce début de siècle, l’histoire de cette émulation n’est encore que balbutiante et se cimentera par l’amitié née de l’implication des états d’Amérique du Nord dans la Grande Guerre.

Un style résolument français
En 1919, après l’armistice, une expérience totalement inédite est engagée par l’armée américaine : l’ouverture d’une école d’art en territoire français. Installée dans le quartier de Meudon-Bellevue, l’école accueille les sammies (en référence à l’Oncle Sam), étudiants en art et en architecture dans le civil. Professeurs américains et français dispensent ainsi à près de 400 disciples une formation courte mais intense tandis que de riches échanges naissent entre professeurs. Cette première expérience annonce la création, quelques années plus tard, de la Fontainebleau School of Fine Arts. L’architecte américain Lloyd Warren installe dans le château de Fontainebleau, et sous le patronage de la Fondation Rockfeller, une école ouverte aux musiciens, artistes peintres, sculpteurs et architectes. L’enseignement de l’architecture y est pris en charge par Jacques Carlu qui a pour lui d’être parfaitement anglophone et de bénéficier d’une première expérience dans l’agence américaine Warren. Américanophile, Carlu vit alors aux États-Unis et rentre en France durant l’été afin de dispenser son cours d’architecture. Il forme ainsi nombre d’architectes américains dont il reste par ailleurs très proche à leurs sorties d’école.

Une émulation réciproque
Ce dialogue transatlantique et l’influence française trouvent leur point culminant en 1925 lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris. Herbert Hoover, alors secrétaire d’État au commerce des États-Unis, envoie une délégation de 104 membres dans la capitale française pour découvrir l’exposition. Le « nouveau style » résolument moderne qu’ils y observent leur offre d’abandonner les références au passé. L’image de modernité de l’Art Déco, la diversité de son répertoire et la stylisation de ses formes, propices à de multiples déclinaisons, conviennent aux états nord-américains. Le Mexique post-révolutionnaire s’en empare, tout comme les États-Unis et le Canada.
Parallèlement, la France confie une mission diplomatique à l’Art Déco, en revendique la paternité et veille à sa diffusion. Elle le mobilise dans son action culturelle via l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques (1922) et use du paquebot Île-de-France (1927) comme d’une vitrine flottante, symbole de l’époque et d’un art du voyage à la française. Les années 1920 sont ainsi marquées par l’intensification des allers-retours et les architectes français qui construisent sur le continent sont de plus en plus nombreux : Paul Cret continue sa carrière américaine et réalise entre autres la Fondation Barnes à Philadelphie (1923) et le Detroit Institute of Arts (1921-1927) ; Jacques Greber est l’auteur du musée Rodin de Philadelphie (1929) ; Jacques Carlu enseigne au MIT et travaille notamment avec George Eastmann, fondateur de la firme Kodak.

Créateurs et artistes de tout poil
Clé de voûte de tous les arts, l’architecture et ses architectes entraînent dans ces évolutions stylistiques de nombreuses professions : peintres, sculpteurs, ensembliers, ferronniers, muralistes font corps avec les bâtiments et accompagnent, en la sublimant, la nouvelle architecture. À leur suite, la mode, la joaillerie et les arts de la table s’inspirent de ce nouveau style dont les lignes simples et fluides contrastent avec la période précédente symbolisée par l’Art Nouveau. L’Art Déco est partout : dans les vêtements et les cosmétiques, porté notamment par l’émancipation féminine ; dans la presse où on célèbre « le goût nouveau, épris d’unité et d’harmonie » ; à Hollywood où les lignes des décors et du mobilier font sensation et ménagent illusions et truquages ; dans le sport, lorsque Paris et sa banlieue s’équipent de bâtiments neufs pour accueillir les Jeux Olympiques de 1924… Installée en France, l’une des figures mythiques de cette upper class New-Yorkaise, Peggy Guggenheim, soutient artistes et créateurs.
Cette belle dynamique se brise sur la crise économique de 1929 et la Grande Dépression. Alors que les constructions dans les métropoles américaines marquent le pas, l’argent manque pour meubler les immeubles qui ont pu être achevés. En 1933, le « pape de l’Art Déco », l’ensemblier Jacques-Émile Ruhlmann, meurt et, avec lui, le succès de sa firme. La même année s’achève l’Exposition universelle de Chicago qui marque l’émergence de l’esthétique streamline. Portée par des références à la puissance industrielle de l’Amérique du Nord, elle prend le relais de l’Art Déco mais abandonne les matières précieuses pour s’ouvrir à la consommation de masse et s’introduire dans les foyers de la middle class américaine. En faillite, les architectes français sont contraints de rentrer. De retour à Paris en 1934, Jacques Carlu joue de ses appuis et se voit confier la responsabilité du palais du Trocadéro. Il y pense sa modernisation en s’adossant aux souvenirs de ses réalisations américaines, de ses projets non aboutis et des constructions de ses confrères plus chevronnés, notamment Paul Cret, compagnon de l’aventure outre-Atlantique. Achevé en 1937, son projet pour le palais clôt cinquante années d’échanges. Le nouvel édifice possède des dimensions américaines, Jacques Carlu ayant fait sienne la monumentalité et la majesté des proportions d’outre-Atlantique : l’Art déco a retraversé l’océan.

L’émerveillement au rendez-vous
Cette émulation réciproque entre la France et l’Amérique du Nord se découvre sur plus de 1.000 m² à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Plus de 350 œuvres, des pièces d’exception, sont ainsi réunies pour cette exposition qui aborde, sous le commissariat d’Emmanuel Bréon, le style Art Déco aussi bien dans son architecture que dans l’ensemble des arts à travers un parcours inédit et une scénographie spectaculaire. Des allers-retours entre deux continents au gré des évolutions stylistiques d’architectes, de peintres, de sculpteurs, d’ensembliers, de ferronniers, de muralistes… et de leurs créations. Parachevant l’aventure du style Art déco en 1937, nul autre édifice que le palais de Chaillot de l’architecte Jacques Carlu, œuvre emblématique et écrin de la Cité de l’architecture, ne pouvait mieux accueillir cette exposition.

Place aux muralistes
Certains visiteurs américains de l’exposition de 1925 sont subjugués par ce qu’ils découvrent en matière de peinture murale. Rodman Wanamaker, directeur des magasins du même nom, demande à Octave Guillonnet et Henri Marret de copier à l’identique leurs fresques de la cour des Métiers pour les présenter dans son grand magasin de Philadelphie. George Desvallières, présent à l’église du Village français, se voit confier la décoration de l’église Saint-Jean-Baptiste de Pawtucket, à Rhode Island, en 1926.
Cedric Gibbons, directeur artistique de la Paramount, est séduit par Jean Dupas, découvert dans le pavillon de Ruhlmann. Des toiles de l’artiste figureront dans presque tous ses films hollywoodiens. Louis Pierre Rigal, auteur du plafond du grand salon de Ruhlmann, est repéré par les architectes Schultze et Weaver pour la décoration de leur nouvel hôtel de prestige, le Waldorf-Astoria de New York. Il est chargé des fresques du grand hall ainsi que de la mosaïque spectaculaire de son sol. Mathurin Méheut, avec son élève Yvonne Jean-Haffen, vogue vers les États-Unis en 1930 pour exécuter à Pittsburgh en Pennsylvanie la décoration du siège social de l’empereur du Ketchup, Howard Heinz. Parmi les muralistes français, certains s’installent même aux États-Unis, notamment Robert La Montagne Saint-Hubert et Jean Despujols.