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Parlons-en !

PIERRE & GILLES : de l’apparence à la complexité

Si l’œuvre à quatre mains de Pierre et Gilles offre du rêve, apportant quelques notes d’espoir, elle sait aussi se faire critique, témoignant avec sensibilité des troubles qui secouent le monde et ouvrant la voix d’une interrogation salutaire.
@pierreetgilles_gilles

« La gravité est aussi importante que la légèreté. Nous souhaitons avons tout partager des émotions, quelles qu’elles soient. »

Pierre & GILLES

Quelles belles âmes que celles de Pierre et Gilles dont l’œuvre rayonne depuis plus de quarante ans, une œuvre à la fois grave et légère, subversive et constructive. Pierre, le photographe, et Gilles, le peintre, forment ainsi un duo merveilleux dont l’ouverture d’esprit et la tolérance créent les conditions d’un vivre ensemble envoûtant. Témoignant des différences sans pour autant ni les juger, ni les figer, leur vision à la fois enchantée et critique rend compte du monde, de ses altérités, des ses bouleversements, de ses drames… mais aussi de sa beauté et de sa créativité à travers d’ensorcelants portraits. Leur travail des trois dernières années exposé chez Templon révèle ainsi les sentiments qui les ont animés face aux nombreux débats qui traversent la société, des questions d’identité sexuelle aux phénomènes d’exclusion sociale, de la dépénalisation des drogues douces à la tolérance religieuse, du réchauffement climatique à la guerre. Par leur regard aiguisé, ils nous invitent à nous y confronter de façon nuancée pour – enfin – nous interroger !

Mélange de deux créativités et deux personnalités, comment tout a commencé ?
Pierre : Par une histoire d’amour… Ce n’est qu’un an après notre rencontre que nous avons commencé à travailler ensemble, lorsque j’ai réalisé une série inspirée des photomatons de nos amis habillés de couleurs fluo. Les tirages étant tristounets, j’ai proposé à Gilles de raviver les couleurs. Il s’est pris au jeu, à retravailler le fond, les visages… Nous étions tellement contents du résultat que nous avons décidé de continuer. Beaucoup ont longtemps pensé que notre duo n’allait pas durer, que nous n’étions qu’un phénomène de mode. Et bien que nous souhaitions travailler ensemble toute notre vie, nous ne savions pas que cela perdurerait aussi longtemps.
Gilles : Comme dans toute aventure… nous n’en connaissions pas l’histoire qui s’est écrite au fil du temps.

À l’époque, il n’y avait pas encore de décor…
Gilles : Non, que des aplats de couleurs. Mais l’idée était déjà présente puisqu’il s’agissait d’une mosaïque d’images.
Pierre : La scénographie est arrivée petit à petit…
Gilles : … avec d’abord des fonds à motifs inspirés du Pop Art, de l’art cinétique…

Vous considérez-vous comme des artistes engagés ?
Pierre : sincères avant tout…
Gilles : … et naturellement engagés puisque que nous ne nous sommes jamais cachés et que notre travail parle de ce qui nous touche. Depuis quarante ans, nous écoutons et regardons le monde qui bouge, évolue, se transforme et nous inspire. Nos œuvres traduisent ainsi notre vision.

Votre vision est à la fois idéalisée et critique. N’est-ce pas paradoxal que de faire rêver et réfléchir ?
Gilles : Notre engagement est également de faire rêver ! L’art ne doit-il pas faire rêver ? Déjà aux Beaux-Arts j’avais envie d’être un artiste différent, proche des gens, de les faire rêver, de leur apporter quelques instants de bonheur. Pour autant, faire rêver n’interdit ni la critique, ni les messages.
Pierre : Nos œuvres traduisent notre regard sur les époques traversées, ponctuées de découvertes, de rencontres… mais aussi de drames et même de tempêtes.
Gilles : En quarante ans, notre regard a nécessairement évolué. À vingt ans, lorsque nous avons commencé, nous n’abordions pas de sujets graves, les années 80 étant une période de fêtes… jusqu’à la gueule de bois avec l’arrivée du sida. La gravité est ainsi entrée petit à petit dans notre travail.

Un travail parfois grave mais aussi « joyeux » et optimiste…
Gilles : Toujours.
Pierre : Avec une approche agréable à l’œil mais subversive, ambiguë qui dérangeait et dérange toujours d’ailleurs… Heureusement [rire].
Gilles : Dans notre société, le mignon, le joli, le populaire reste péjoratif. D’ailleurs, certains se demandent encore si notre travail peut être qualifié d’art contemporain. Et bien que le monde se durcisse, je crois beaucoup en la jeune génération.
Pierre : … et qu’il y faut toujours regarder la beauté partout où elle se trouve.

Vos modèles sont toujours liés à vos rencontres. Mais l’idée de l’œuvre naît-elle d’une rencontre ou est-elle antérieure ?
Pierre : Cela dépend… même si, souvent, l’œuvre se construit autour d’un modèle qui nous inspire. Nous pénétrons alors son monde ; il entre ensuite dans le nôtre.
Gilles : Entre la rencontre et l’œuvre, il peut parfois s’écouler beaucoup de temps pour trouver la bonne idée, la bonne mise en scène. D’autres fois, cela s’enchaîne rapidement.
Pierre : Nous avons également des idées en réserve mais qui ne peuvent prendre forme tant que nous n’avons pas trouvé le modèle idéal.
Gilles : Pour Le triangle rose par exemple, nous avons mis longtemps à trouver le modèle sans pour autant le chercher. Nous avons fini par rencontrer ce garçon très beau mais avec une certaine gravité dans le visage.

Notre travail est agréable à l’œil mais subversif, ambiguë et qui dérange toujours d’ailleurs.

PIERRE & GILLES

Cette exposition présente votre travail des trois dernières années. Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Pierre : « Les couleurs du temps », référence au monde qui change, se transforme, s’est imposé lorsque la guerre en Ukraine a éclaté, alors que nous réalisions le cadre du tableau Le temps du paradis…
Gilles : … un portrait d’un ami Ukrainien pris juste avant le début du conflit. Le cadre, un prolongement de la toile, reprend ainsi les couleurs du drapeau Ukrainien.

Et que dévoile-t-elle ?
Pierre : À l’image de la vie, des œuvres qui mixent gravité et légèreté.
Gilles : Et la gravité est aussi importante que la légèreté. Nous souhaitons avant tout partager des émotions, quelles qu’elles soient.
Pierre : L’exposition s’ouvre ainsi sur l’Ukraine, avec notamment le drapeau de la paix à l’entrée qui ressemble au drapeau LGBT, ce qui nous amuse beaucoup.

Parmi vos dernières rencontres qui ont débouché sur une œuvre, certaines ont débuté sur Instagram…
Pierre : Auparavant, les rencontres se faisaient en boîte de nuit et aujourd’hui elles se font sur Instagram [rire].

Mais peut-on réellement faire de vraies rencontres sur Instagram ?
Pierre : Absolument !
Gilles : Ce sont des personnes que nous suivons longtemps et qui nous suivent également.
Pierre : Nous pénétrons leur univers…
Gilles : … voire même leur intimité, au point que beaucoup deviennent des amis. Qu’ils se mettent en scène sur Instagram révèle déjà une partie d’eux-mêmes ! Suivent évidemment des rencontres physiques lors desquelles l’on peut approfondir ce qu’ils ont envie d’exprimer. Comme un metteur en scène choisit ses acteurs en fonction de ce qu’il souhaite raconter, nous choisissons le rôle que nos modèles peuvent incarner. D’ailleurs, le rôle que nous leur proposons les surprend souvent ! Luca Wegan par exemple ne s’attendait probablement pas à incarner David.
Pierre : Si nous aimons également les provoquer, le rôle que nous attribuons à nos modèles est étroitement lié à ce qu’ils sont capables d’incarner. Des rôles sur-mesure qui leur correspondent.
Gilles : Le tableau Celui qui écrit avec son cœur est sans doute le plus proche du modèle, l’écrivain Édouard Louis. Ayant beaucoup souffert dans son enfance, il nous a révélé que lorsqu’il écrivait, il le faisait « avec son sang ». Découvrir le caractère du modèle reste primordial afin de donner un sens à l’image.

À quel moment intervient l’idée du décor ?
Gilles : En même temps que l’idée de base.
Pierre : Nous faisons tout nous-mêmes ce qui nous permet de faire évoluer le décor au jour le jour… mais aussi l’idée elle-même.
Gilles : Comme au théâtre, le modèle intègre ensuite le décor préparé. Et ce que nous lui demandons est très précis. Pour certains d’ailleurs, prendre des poses tout en restant naturel est parfois difficile.

Quel est aujourd’hui votre rapport à l’humain et à sa représentation ?
Gilles : À travers nos portraits, nous mettons en scène la différence sous toutes ses formes…
Pierre : … de race, de couleurs, de genre, de physique, d’âge…
Gilles : … des personnes célèbres et des inconnus, des saints et des voyous…
Pierre : … sans hiérarchie ni jugement.
Gilles : C’est peut-être le côté politique de notre travail que de mettre tout le monde au même niveau. Nous espérons ainsi que notre travail relie les gens…
Pierre : … et leur ouvre les yeux sur leur différence pour enfin l’accepter.

Vous sentez-vous quelque part « gopniks » comme dans l’autoportrait présenté dans l’exposition ?
Gilles : Oui, nous aimons ce côté punk, leur look, leur attitude…. Surtout, nous apprécions les artistes russes dont beaucoup sont opprimés voire ont hélas disparu, parfois dans d’étranges circonstances… comme Vladislav Mamyshev-Monroe retrouvé noyé mais qui a, selon moi, été assassiné parce qu’il dérangeait. À travers cette toile, nous souhaitions leur rendre hommage.

À VOIR
« Les couleurs du temps »
Jusqu’au 30 décembre 2022
Du mardi au samedi de 10h à 19h

Galerie Templon
28 rue du Grenier-Saint-Lazare 75003 Paris
templon.com
Instagram : @galerietemplonACCROS