Faisant fi du temps qui passe, Jim Dine explore sans relâche le processus de création. Un insatiable appétit qui l’entraîne toujours plus loin, nourrissant créativité et réflexion.
Depuis plus de 60 ans, à travers des processus artistiques pluriels qui englobent peinture, sculpture, performance, photographie, gravure, poésie… la légende de l’art américain transcende l’acte de création. Observateur infatigable, il regarde et scrute avec acuité pour mieux défricher de « nouveaux territoires » artistiques, poussant toujours plus loin son geste créatif, comme en témoigne une série d’œuvres inédites créées spécialement pour l’exposition « Grace and Beauty » à la galerie Templon où se mêlent larges peintures sur bois et nouvelles sculptures en bronze anthropomorphiques. Ainsi, en écho aux tableaux démesurés entre abstraction et figuration évoquant à la fois les murs de l’atelier et la palette du peintre, et d’où émergent entrelacs de tuyaux en laiton, outils de bricolage fracassés… de complexes bronzes qui tiennent à la fois de la machine, du végétal et de la statuaire classique. À 87 ans, Jim Dine à travers ces nouvelles œuvres, rend immédiatement captif le visiteur. Une fascinante faculté !
Votre pratique artistique englobe la peinture, la sculpture, la performance, la photographie, la gravure, la poésie… Qu’est-ce qui vous pousse à créer ?
C’est tout ce que je sais faire, c’est pour cela que je suis ici. La gravure par exemple est tout aussi importante pour moi que la peinture ou la sculpture, qui sont elles-mêmes des disciplines comparables au dessin ou à la poésie. J’adore explorer ces différents domaines. J’adore découvrir de nouvelles formes de création, ce sont toujours de nouvelles opportunités d’ajouter une autre dimension à mon œuvre. Pour moi, c’est en cela que l’art m’aide beaucoup. Je suis reconnaissant de cette curiosité et opportunité de travailler en permanence.
Artiste de l’intériorité depuis toujours, que vous ont révélé vos pratiques artistiques que vous n’auriez pas découvert sans elles ?
Je me suis dessiné et peint toute ma vie, cela a toujours été pour moi une manière d’étudier ma personne et mon inconscient. Ma dernière grande série d’autoportraits a été réalisée pendant le confinement. Quelque part, ces portraits en répétition, tout en matière, sont là pour défier le temps, le passage d’un temps long, celui de la main qui dessine. Mon travail n’est pas tourné sur le sujet mais sur le processus de création : c’est le travail lui-même qui est toujours le sujet de mes œuvres. Je crois que ma vie, en tant que travailleur manuel, en dit beaucoup sur la façon dont mon œuvre est créée : coupée, déchirée, démontée, ré-assemblée ou encore mise sur le côté. Je passe mon temps à créer, observer, réagir et recommencer. Mes peintures ne sont jamais sous mon contrôle, elles m’échappent toujours un peu. J’essaie de les apprivoiser. Comme le vent.
Votre travail est basé sur la correction. Que vous révèle cette méthode de travail sur vous-même et votre inconscient ?
Ce que j’apprends sur moi à travers mon travail c’est que je suis un artiste, je ne peux et ne pourrai jamais rien faire d’autre. J’aime explorer les processus de création. Par exemple, pour cette exposition, j’ai travaillé récemment sur de grandes sculptures. Ce processus est nouveau pour moi, c’est un nouveau point de départ. Je construis la sculpture sur le sol, les mettant face au sol. Ensuite, pièce par pièce, je les démonte et les emmène à la fonderie pour les couler une par une. Ensuite, à la fonderie, je recrée la sculpture, je la réinvente et la ressoude différemment.
N’est-ce pas également pour atteindre une forme « d’idéal » que vous avez adopté cette méthode de travail ?
Pour moi, rien ici-bas n’est parfait, et cela permet de considérer le fait que tout est de l’ordre du possible. L’idéal n’existe pas, et mon travail le montre puisque je passe mon temps à retravailler et à modifier mes œuvres.
Avec cette nouvelle série présentée à la Galerie Templon, vous repoussez encore davantage l’expérimentation technique. Qu’est-ce qui vous pousse ainsi à aller toujours plus loin ?
Tout est nouveau ! Je travaille sur de nouvelles échelles, je découvre de nouvelles combinaisons, de nouveaux assemblages… J’avance de cette manière. L’idée de créer en permanence est pour moi comme le sang qui coule dans mes veines. Et j’ai pour ambition de transmettre cela à travers mon travail. Je souhaite que mes œuvres soient regardées, que, peut-être elles, puissent prendre part à l’histoire de l’humanité et contribuer à enrichir son âme. Si mes peintures ne parlent que de peinture, et si mon amour de la marque ou de la « trace » a souvent supplanté le sujet, je regarde pourtant encore mon travail avec une acuité renouvelée. Je suis dans l’abstrait et le figuratif, je peins par accumulation de matière picturale, j’utilise toute sorte de matériaux, sable, charbon… À la fonderie de Saint Gallen par exemple, j’ai observé les techniques de fabrique, sculptant de mon côté toutes sortes de formes, têtes, cœurs, tables, en vue de mes futures réalisations. J’expérimente au plus proche de ces experts et c’est un vrai plaisir. J’ai pour l’apprentissage collectif et pour les techniques précises un appétit insatiable. Je cherche toujours à repousser mes limites d’expérimentation, comme on travaille une nouvelle forme de langage.
Cherchez-vous ainsi à défricher les nouveaux territoires du beau ? D’ailleurs pour vous, quels sont-ils ?
J’ai tenté d’atteindre les deux au cours de ma vie. Je souhaite ne parler que d’une chose : l’acte de création. Seule la liberté absolue du créateur permet de défricher les nouveaux territoires du Beau.
Quels sont vos prochains défis ?
J’ai envie de revenir à la peinture, et continuer la sculpture à Saint Gallen. Mes œuvres ne sont pas encore terminées là-bas, je souhaite y re-travailler le plâtre.
Galerie Templon
28 rue du Grenier-Saint-Lazare 75003 Paris
Du mardi au samedi de 10h à 19h
templon.com
Instagram : @galerietemplon