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DEGAS est-il le premier peintre photographique ?

Vivantes, les toiles d’Edgar Degas s’offrent telles des photographies prises sur le vif.
Mais derrière l’effet de réel se cachent un travail réfléchi et une quête, celle de transcrire sur la toile des impressions – aux antipodes d’une représentation photographique du monde.
Par Diane Zorzi 

Une danseuse arrangeant son chignon, une prostituée enlaçant sa patronne, des jockeys attendant le top départ, une femme attablée… en véritable artiste-reporter, Edgar Degas (1834-1917) sillonne les rues du nouveau Paris, couvre les événements mondains.
Il pénètre les coulisses de l’Opéra, infiltre les maisons closes. Sous son pinceau, la vie moderne parisienne s’expose. « Degas est impressionniste en ce sens qu’il observe les évolutions de la ville et la manière dont vivent ses contemporains », note Marine Kisiel, conservatrice des peintures au musée d’Orsay. Vivantes, ses toiles s’offrent telles des photographies prises sur le vif, saisissent avec sincérité et réalisme un quotidien débarrassé de tous faux-semblants. Mais derrière cet effet d’instantanéité se cache un travail long et minutieux, mené à l’ombre de l’atelier.

Un artiste dans les coulisses de l’Opéra

S’il a reçu une formation des plus classiques, copiant inlassablement les grands maîtres, Degas se libère rapidement des conventions académiques. Curieux, il quitte musées et ateliers pour se frotter à la vie moderne parisienne. En fin observateur, il prend note, s’imprègne des lieux et des protagonistes qu’il croise, avant de les transcrire sur la toile. Ainsi se glisse-t-il jusque dans les coulisses de l’Opéra de Paris. « De ses débuts jusqu’à ses extraordinaires dessins synthétiques de la fin de sa vie, Degas a fait de l’Opéra le point central de ses travaux. Il en explore les différents espaces, de la scène, jusqu’aux salles de répétition et coulisses », détaille Marine Kisiel, commissaire de l’exposition « Degas à l’Opéra », présentée à partir du 24 septembre 2019 au musée d’Orsay à Paris. L’artiste
suit les ballerines au travail et découvre un monde où la grâce et la beauté se mêlent au sacrifice et au labeur.
À travers une série de toiles et oeuvres sur papier au réalisme saisissant, il dévoile l’envers du décor de la prestigieuse institution, se confrontant aux critiques les plus acerbes de ses contemporains qui le jugent trop indiscret et voyeuriste. En témoigne un pastel de 1882 représentant une danseuse assise au fond de la salle de cours aux côtés d’une mère maquerelle, poussant à la prostitution les ballerines démunies et contraintes de se livrer au marché érotique pour financer leur éducation. « Il peint un monde de grâce et de travail, de sociabilité et de faux-semblants, en somme un monde contrasté qui donne à voir le fonctionnement de toute une société ».

Des photographies peintes

Des danseuses, Degas en donne une représentation des plus fidèles, n’hésitant pas à décrire leur air fatigué et à rompre avec l’image idéalisée de jeunes filles gracieuses. Dessinateur méticuleux, il décrit avec précision chaque détail de leur anatomie, s’essayant à restituer avec réalisme leur mouvement, une certaine grâce comme un certain travail. « Dans ce lieu clos de représentation, il crée un certain nombre d’innovations qu’il va réinsuffler dans les autres thèmes qu’il abordera ensuite ». Pour donner du mouvement à ses compositions, Degas recourt ainsi à des cadrages et des prises de vues innovants. Il coupe le visage de ses danseuses dans L’Orchestre de l’Opéra. Il adopte des vues en contre-plongée ou encore en plongée avec sa Femme au tub ou sa Danseuse étoile. Il multiplie les points de vue en peignant plusieurs fois un même motif en plan d’ensemble ou détaillé. Il démultiplie l’instant, suggère l’avant et l’après de la scène, en saisissant ses sujets en pleine action telle qu’une femme nue enjambant sa baignoire. Et il bouleverse encore les repères, en optant pour des hors-champs ou en excentrant le sujet principal avec ses Musiciens d’orchestre qui, placés au premier plan, obstruent la scène. « L’art c’est le même mot qu’artifice, c’est-à-dire une chose trompeuse. Il doit arriver à donner l’impression de la nature avec des moyens faux et il faut que cela paraisse vrai », écrivait ainsi Degas.