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PAUL SIGNAC : un point, c’est tout !

Peintre précoce et autodidacte, Paul Signac est considéré comme un artiste majeur de la fin du XIXe siècle, notamment par sa contribution au développement du pointillisme aux côtés de Georges Seurat, dont il défendra les théories jusqu’après sa mort. Au tournant du siècle, ses œuvres vibrantes de couleurs retiennent l’attention d’une nouvelle génération de peintres, parmi lesquels Matisse et ses amis fauves.
Par Anouck Etcheverry

Autodidacte, Paul Signac refuse de passer son baccalauréat à 18 ans, déclarant vouloir faire de « la peinture impressionniste », symbole pour lui de liberté. Le jeune peintre s’initie au mouvement lors de l’exposition de 1879, rue de l’Opéra, où il découvre les œuvres de Pissarro, Gustave Caillebotte et Edgar Degas. Mais c’est en 1880, après avoir visité la première exposition personnelle de Claude Monet, que Paul Signac décide de devenir peintre. L’admiration qu’il porte à son illustre prédécesseur est déterminante pour ce jeune autodidacte qui débute sa carrière en s’appropriant la touche impressionniste. En témoignent la touche vigoureuse et les couleurs lumineuses avec lesquelles il construit ses premières œuvres.

Père du « néo-impressionnisme »

En 1884, Signac participe à la création de la Société des artistes indépendants, unis par la volonté de mettre en place un Salon annuel « sans jury ni récompense ». À cette occasion, il se lie d’amitié avec Georges Seurat et c’est ensemble qu’ils s’intéressent aux travaux du chimiste Eugène Chevreul sur la perception des couleurs. Au cours de l’hiver 1885-1886, Seurat est ainsi le premier à appliquer le principe de la division des couleurs, en juxtaposant de petites touches de couleur pure sur sa toile et en laissant à l’œil du spectateur le soin d’accomplir le mélange optique des tons. Synthétisant les lignes du paysage dans des toiles d’une remarquable économie de moyens, Signac adopte à son tour cette nouvelle technique, tout comme Camille Pissarro. Rencontré en 1885, ce dernier ouvre aux jeunes artistes les portes de la huitième exposition de peinture impressionniste en 1886. Regroupés dans la dernière salle, ils assurent l’effet de nouveauté produit par leurs toiles. L’adjectif « néo-impressionniste » apparaît alors sous la plume du critique Félix Fénéon en septembre 1886. Le principe de la division des tons se diffuse alors et nombreux sont les peintres qui y adhèrent, comme Maximilien Luce, Henri Edmond Cross, Théo Van Rysselberghe…

Peintre de paysages

Comme les impressionnistes, Signac souhaite se consacrer aux paysages et aux scènes de plein-air. Passionné par la mer et la navigation, il veut créer une peinture vibrante et lumineuse… avec une technique différente, remplaçant la « virgule » des impressionnistes par la touche divisionniste. Et c’est sur les rives de la Seine que Signac réalise une première série de paysages néo-impressionnistes, parmi lesquels Les Andelys. Soleil couchant. Mais la technique de la division des couleurs ne se prête guère à une pratique en plein-air, plusieurs étapes étant nécessaires pour éviter le mélange des pigments. L’artiste, qui a gardé la sensibilité impressionniste de ses débuts, multiplie donc les études d’après nature avant d’entreprendre la composition finale à l’atelier. Ces travaux préparatoires, pour des paysages (Concarneau) ou des scènes de la vie contemporaine (La Salle à manger), dénotent une approche libre et directe qui précède l’élaboration de compositions plus méditées à l’atelier. En 1892, Signac, qui a largement exploré le littoral breton et les bords de Seine, découvre le port de Saint-Tropez. C’est une révélation pour le peintre, comme l’indique la gamme chromatique de Soleil couchant sur la ville (étude). Au cours des cinq années qui suivent, Signac consacre exclusivement son travail à Saint-Tropez, variant les points de vue et les effets. Il entreprend en 1893 une ambitieuse composition décorative et philosophique destinée à célébrer la vie qu’il mène sur le rivage méditerranéen et qu’il intitule Au temps d’harmonie. À cette époque, sa technique évolue et sa touche s’élargit pour donner toujours plus d’impact à la couleur comme l’attestent Saint-Tropez. Après l’orage et Saint-Tropez. Fontaine des Lices. En 1897, Signac reprend ses pérégrinations et consacre une série de tableaux au Mont-Saint-Michel. Si la composition reste sensiblement la même, la gamme chromatique varie d’une toile à l’autre selon les effets de la lumière, retranscrits dans Mont-Saint-Michel. Brume et soleil par une délicate monochromie rose.

Un pointillisme pointilleux

Parallèlement à sa pratique artistique, Signac milite pour une large diffusion de la technique de la division des tons. Un engagement qui lui vaut le surnom de « Saint-Paul du néo-impressionnisme » décerné par Thadée Natanson, fondateur de la Revue blanche. En tant que responsable d’expositions, notamment au Salon des Artistes indépendants qui ne tarde pas à devenir la tribune du mouvement, Signac exerce une influence décisive sur la scène artistique parisienne. Doté d’un tempérament enthousiaste, il partage volontiers sa connaissance des principes fondamentaux de la division et du contraste des couleurs. La première génération de peintres néo-impressionnistes compte des personnalités aux objectifs parfois divergents. Camille Pissarro est le premier d’entre eux à adopter la touche divisée de Seurat, dans des paysages ruraux. Il sera également le premier à y renoncer vers 1890, vraisemblablement sous la pression de son marchand Paul Durand-Ruel. En mars 1887, Signac, qui est aussi collectionneur, achète un tableau de Maximilien Luce au Salon des Indépendants. C’est le début d’une grande amitié et Signac initie Luce aux lois de la division des tons. Leur complicité n’est pas seulement artistique, mais aussi politique car les deux peintres partagent les mêmes convictions anarchistes. Ils sont de fidèles lecteurs du journal La Révolte, dans les pages duquel Signac publie en 1891 un texte soutenant que les artistes les plus révolutionnaires sont ceux qui inventent un langage neuf. Animé d’un grand sens de l’amitié, Signac s’entoure d’artistes avec lesquels il développe de solides compagnonnages. Ainsi, dès 1892, il accueille à Saint-Tropez son ami Luce, que le petit port varois séduit à son tour. Henri-Edmond Cross, quant à lui, adhère tardivement au néo-impressionnisme, en 1891, mais son engagement est définitif, jusqu’à sa mort en 1910. Il devient un intime de Signac, prenant auprès de lui la place laissée vide au décès de Seurat en mars 1891, et s’impose comme l’une des personnalités majeures du mouvement. Les échanges entre les deux artistes sont déterminants lors de la rédaction D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, traité théorique que Signac publie en 1899. En plaçant ce mouvement comme héritier de Delacroix et des impressionnistes, l’ouvrage rencontre un franc succès.

En quête de nouveaux motifs

Au tournant du siècle, Signac est devenu une figure de la scène artistique parisienne et plusieurs galeries lui consacrent des expositions monographiques, en 1902, 1904 et 1907. Il a également conquis un succès international et ses œuvres sont régulièrement présentées à Bruxelles, à Vienne et en Allemagne. Lui qui a toujours beaucoup voyagé poursuit sa quête de nouveaux motifs. Peintre de l’eau, de la couleur et de la lumière, il choisit de visiter de grands ports européens, notamment Venise où il séjourne en 1904 et en 1908. La Sérénissime lui inspire des compositions polychromes, dont l’éblouissant Arc en ciel, Venise, où les couleurs du prisme s’organisent en de somptueux bouquets. En parallèle, l’œuvre graphique de Signac s’enrichit, l’artiste variant les approches et les techniques. À partir de 1907, il réalise de grands lavis d’encre de Chine, tels Le Pont Royal. Inondations. Véritables
cartons préparatoires exécutés selon la tradition de la peinture classique, ils préludent à l’élaboration de ses tableaux. Chantre de la couleur, Signac n’en n’apprécie pas moins le contraste du noir et du blanc, qu’il maîtrise avec talent. Quand il travaille sur le motif, l’artiste privilégie l’aquarelle, une technique qu’il pratique assidûment depuis 1892 et qui occupe une place grandissante dans son œuvre. Le dernier grand projet de Signac est la série des ports de France qui réunit plus de deux cents aquarelles représentant une centaine de ports grâce auxquels on suit le peintre de jour en jour le long des rivages, de Sète à Menton et de Dunkerque et à Concarneau.

La libération de la couleur

« Il faut être libre de toute idée d’imitation et de copie, et il faut créer des teintes » note Signac dans son journal. L’artiste s’éloigne donc progressivement du naturalisme, adoptant alors deux approches complémentaires dans la composition de ses œuvres. La première consiste à choisir, pour structurer sa toile, une couleur dominante déclinée en un large éventail de nuances. Les œuvres que Signac élabore selon cette technique tendent à la monochromie, comme Antibes. Matin, Marseille. Le Vieux Port ou Avignon. Matin, caractérisées par une harmonie rose, évocatrice de la lumière matinale. À l’inverse, Signac se plaît à brosser d’autres toiles dans une polychromie audacieuse. Dans ces œuvres, la couleur s’émancipe de la réalité. L’imagination du peintre et l’organisation des formes y sont soumises à un équilibre rigoureux, qui s’inspire du paysage classique. La composition de Sainte-Anne (Saint-Tropez) et celle de Juan-les-Pins. Soir (première version) répondent ainsi à une même exigence de symétrie. La Première Guerre mondiale donne un coup d’arrêt brutal à cette dynamique. Pacifiste convaincu, Signac est profondément déprimé par les événements et sa production ralentit de façon drastique. Après-guerre, il reprend ses activités au Salon des Indépendants et sillonne la France au volant de son automobile, dans sa recherche permanente de nouveaux motifs.

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