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Rue de Paris, temps de pluie par GUSTAVE CAILLEBOTTE

Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie, huile sur toile, 1877, 212 x 276 cm.

Peintre, collectionneur, mécène, organisateur d’expositions mais aussi architecte naval et régatier, Gustave Caillebotte est fasciné par le Paris Haussmannien. Il situe ses tableaux dans le cadre de cette nouvelle architecture, un choix « naturel » lui qui a habité rue de Miromesnil, à deux pas de la gare Saint-Lazare, puis… boulevard Haussmann. Ses scènes urbaines restituent ainsi les composants de la modernité et les soulignent jusque dans ses personnages. Il présente les réalisations urbaines les plus audacieuses – structures métalliques du pont de l’Europe, larges boulevards récemment tracés, motif récurrent chez le peintre dans les années 1876-1882… Chez lui plus que chez les autres impressionnistes, l’architecture, transcrite avec précision, occupe une place importante, comme dans cette œuvre monumentale (212 x 276 cm), présentée à la troisième exposition impressionniste de 1877. Il y dépeint des membres de la classe moyenne supérieure flânant sur les boulevards du quartier de L’Europe, nommés La Nouvelle Athènes.

Une composition orchestrée
La composition a fait l’objet d’un certain nombre de nombreux dessins préparatoires et même d’esquisses à l’huile. Caillebotte a utilisé une perspective centrée rigoureuse, avec des lignes de fuites tracées à la règle. Ce tableau est ainsi partagé en deux dans le sens horizontal par la ligne qui traverse les têtes et suit la base des édifices, et dans le sens vertical par le réverbère et son reflet. La partie gauche est dominée par la ligne fuyante des immeubles et des pavés ; la partie droite offre au premier plan un couple grandeur nature qui regarde quelque chose hors champ. L’espace représenté ne permet aucun recul, le spectateur est alors face aux personnages.

Cliché photographique
Par ses dessins préparatoires, Caillebotte accorde une grande importance au cadre architectural, à la perspective, méticuleusement exécutée à la règle, mais aussi aux personnages et aux détails. Le trait est précis, la touche léchée, bien loin des impressions de ses contemporains. Sa peinture se rapproche ainsi d’un cliché photographique… L’alignement rigoureusement symétrique des façades, doublé par les alignements des cheminées et des fenêtres des immeubles haussmanniens, balise les avenues dans de longues perspectives. Au fond du tableau se devine, dans l’axe du belvédère, à gauche le barreaudage d’un échafaudage, à droite l’échelle que porte sur ses épaules un peintre en bâtiment attestant de l’activité d’urbanisation.

Points de fuite
Peter Galassi (La méthode de Caillebotte) a étudié la perspective de la toile et constaté qu’il y existait deux points de fuite principaux rapprochés, chacun correspondant à la tête d’une des deux femmes (celle de droite marquant le point de fuite du trottoir, celle de gauche celui de la vitrine). Cet écart à peine perceptible pourrait correspondre selon Galassi à un intérêt de Caillebotte pour la vision stéreoscopique. Poursuivant cette piste, Galassi a remarqué que certains points de fuite secondaires sont également signalés par un petit personnage : la femme descendant du trottoir (derrière le manche du parapluie) correspond au point de fuite de l’immeuble situé le plus à gauche. Symétriquement, le petit personnage sans parapluie qui traverse la rue (derrière la roue du fiacre) correspond au point de fuite de l’immeuble de droite.

Personnages et perspectives
Caillebotte a travaillé les personnages de manière isolée puis les a intégrés à la scène à la taille adéquate, en les organisant grâce à la perspective. Les personnages du fond suivent ainsi les diagonales que forment les avenues, tandis que ceux du premier plan suivent une ligne horizontale. Le choix de la ligne d’horizon, à hauteur d’œil des personnages debout, simplifie le positionnement vertical. Pour l’emplacement latéral, Caillebotte semble avoir obéi à des considérations de surface plutôt que de profondeur, répartissant les silhouettes selon des espacements harmonieux. Les deux cochers de fiacre, surplombant chacun un des piétons qui traversent, pourraient ainsi donner l’espacement qui sert de base à la division horizontale. En tant que futur architecte naval, Caillebotte se serait-il donné des contraintes géométriques ?

Représenter la multitude
Pour représenter la pluie. Caillebotte choisit de ne pas recourir aux striures et autres effets vaporeux mais par la multiplication des pavés et des parapluies, suggérant au spectateur la multiplicité des gouttes. De même, le grand format lui permet de représenter toutes les cheminées, presque toutes les fenêtres. Quant aux autres multitudes du tableau, elles sont traitées avec la même probité, le même besoin de tout montrer : chaque passant, chaque parapluie, chaque pavé est dessiné, ciselé sans perdre sa singularité.

Mouvements figés
Malgré le mouvement suggéré par les personnages, l’image semble immobile entre les façades rigides en pierre de taille. Les passants sont strictement alignés : visages détournés, à peine individualisés ou cachés sous des parapluies, vêtus de gris et de noir. Même les fiacres, par leur position, semblent figés et les passants, qui marchent et traversent, renforcent cette sensation d’immobilité. Pourtant, un sentiment d’harmonie se dégage de la toile grâce à la multiplicité des parapluies et de la disposition en étoile reprise en écho par la distribution ses personnages dans l’espace.

Palette de couleurs
La gamme chromatique est sobre, déployant sur le trottoir, les pavés, les toits, les toiles des parapluies, toute la palette de nuances (blanc, argent, bleus et gris pâles) qu’exige le rendu des textures mouillées. Pour Caillebotte, la pluie unifie tout dans un camaïeu de tons froids. De même, son travail de la lumière lustre les couleurs pour leur donner l’aspect mouillé. Côté droit, le peintre ose des couleurs complémentaires, un rouge marron pour la partie haute de l’immeuble et un vert bleuté pour sa partie basse.

La conclusion de Zola
« Sa Rue de Paris, temps de pluie montre des passants, surtout un monsieur et une dame au premier plan qui sont d’une belle vérité. Lorsque son talent se sera un peu assoupli encore, Mr. Caillebotte sera certainement un des plus hardis du groupe ». Zola était-il dans la confidence . En effet, une étude très fouillée du chef-d’œuvre de Caillebotte a été réalisée par l’Art Institute of Chicago. Grâce à leurs observations, les chercheurs ont établi que le personnage de droite a été ajouté par Caillebotte sur le tableau final, alors qu’il pourrait être au cœur de l’intrigue : que va-t-il se passer entre le couple du premier plan et le personnage de dos ?