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Galeriste

RAPHAËL DURAZZO en dehors des sentier battus

Dans un monde de l’art qui semble ne jurer que par la dématérialisation, ce passionné a tenu à ouvrir un lieu chaleureux et intimiste, dédié au partage, pour proposer des expositions que l’on a rarement l’habitude de voir.


En reprenant, à 36 ans, l’ancienne galerie de Pierre Cardin dans le VIIIe arrondissement parisien, cette ancien financier devenu marchand d’art il y a déjà une dizaine d’années veut proposer sa vision très personnelle de son métier. Pour sa première exposition, il mise sur les grands noms de l’art allemand d’après-guerre. Un art puissant, engagé, chargé d’histoire, mais pas forcément des plus accessibles. Un positionnement que ce galeriste passionné revendique.

Pourquoi avoir quitté la finance pour devenir marchand d’art ?
Je ne suis pas resté très longtemps dans la finance, juste 6 ans. Mais, en 6 ans, on a le temps de comprendre que ce n’était pas un métier qui m’inspirait. Ce qui me plaisait, c’était de travailler beaucoup. En revanche, le sujet ne m’intéressait pas. À Paris, je passais mes midis à Drouot ; à Londres je visitais les galeries… J’ai toujours aimé l’art… sans être collectionneur. Je n’avais alors pas les moyens d’acheter ce qui me plaisait. Je n’ai compris que bien plus tard qu’il y avait des choses que j’adorais et que je pouvais acquérir pour très peu.

Ouvrir une galerie, n’est-ce pas un peu délicat aujourd’hui ?
J’ai toujours fait les choses parce que je ne pouvais pas agir autrement…, le vrai travail de l’inconscient. Je me suis senti inspiré parce que je rencontrais de plus en plus de gens du milieu de l’art. Et je pense que c’est ainsi que nous devrions tous choisir notre métier. C’est comme cela que j’ai quitté la finance et ouvert la galerie. Je ne suis pas encore en mesure de dire pourquoi… On m’a présenté le propriétaire de ce lieu, l’ancienne galerie de Pierre Cardin et j’ai foncé. Plus rationnellement, j’aime bien penser à contre-courant. Tout le monde me disait : « C’est génial ce que tu fais, être seul, totalement libre… ». Je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient dire. Quand on a une galerie, on choisit enfin ce que l’on montre à ses clients, à ses collectionneurs, mais aussi aux gens qui passent, on leur raconte une histoire, on construit avec eux quelque chose qui reste. Être marchand, c’est sec, il n’y a pas d’échange. La conversation avec un tableau naît de la rencontre. Dans une galerie, on accueille les gens chez soi. Et c’est génial.

Reprendre ce lieu mythique représente-t-il un défi supplémentaire ?
La rencontre avec la famille Cardin s’est faite au bon moment. Je n’avais pas le choix : il fallait que j’ouvre ici… même si ce n ’était pas vraiment bon marché [rires].
Ce lieu a évidemment une âme particulière. Mais, au-delà de la galerie elle-même, cette rue a quelque chose de particulier. Alors qu’elle pourrait être assez confidentielle, il y a beaucoup
de passage. Et je suis stupéfait par le nombre de personnes pour qui elle fait partie de leur histoire personnelle, toujours positive, et pas seulement pour les aventures d’un ancien président. [rires]. Plus globalement, le quartier Matignon/ Faubourg Saint-Honoré est à nouveau une place majeure du marché de l’art parisien. Il y un véritable retour du second marché et de nombreuses galeries spécialisées sont implantées ici, avec une nouvelle clientèle, plus jeune, passionnée, presque « boulimique », un peu comme les collectionneurs des années 1930.

Comment vous êtes-vous spécialisé sur l’art allemand d’après-guerre ?
Je n’aime pas dire que je suis spécialiste. D’abord, parce que, sans fausse modestie, je ne le suis pas. Je suis autodidacte sur tout, je n’ai pas étudié l’histoire de l’art… Je me suis intéressé aux artistes allemands un peu par hasard. Au fil des découvertes, en présentant des œuvres à un client, je me aperçu que tous les artistes que je montrais étaient allemands. Le travail qu’ils ont fait, après la guerre, sur eux-mêmes, sur leur identité, m’intéresse. Tous ont grandi dans un système affirmant la supériorité de leur pays. Après la guerre, ils se sont retrouvés confrontés à l’échec, à l’opprobre et à la culpabilité. Ils ont construit leur identité
sur une défaite.

N’est-ce pas un sujet un peu élitiste pour une première ?
Sûrement pas. Je ne propose tout de même pas des œuvres impossibles à montrer ! Il y a eu la rétrospective Baseltiz à Beaubourg, une exposition Beuys au MAM, Richter vient de faire 2 millions aux enchères… Il est vrai que ces artistes ne sont pas forcément les plus accessibles.. Pour apprécier cette exposition, il faut s’intéresser au sujet ou aux artistes. Évidemment,
c’est plus confidentiel, mais il y a vrai marché de collectionneurs, certes peu nombreux, mais qui sont très connaisseurs. Les ventes aux enchères sont un peu trompeuses parce qu’il y a quelques œuvres qui partent à des prix très élevés, mais ce n’est pas le cas pour toutes. Même celles qui ont une importance historique majeure.

Avez-vous défini une ligne éditoriale pour votre galerie ?
Non [rires]. J’ai l’impression d’avoir ouvert la galerie pour cette première exposition, sans préjuger de la suite. Je me suis projeté, certes, mais pour me demander ce qui allait m’
amuser, m’emballer… Bien sûr, je reste un marchand, il faut qu’il y ait une logique commerciale et de communication, que j’essaie de faire rentrer dans ce qui m’intéresse. J’aime beaucoup créer un dialogue, trouver un angle qui n’a peut-être pas été exploité ou,
du moins, pas tel que je le vois. Je n’ai pas du tout la prétention de montrer quelque chose qui n’a pas été vu ou qui aurait été « raté ». Je crois seulement que mon point de vue n’est pas totalement inintéressant.

Comment allez-vous choisir vos prochains sujets ?
Le surréalisme me passionne. Il y a aujourd’hui de nombreux artistes qui proposent du néo-surréalisme. Beaucoup font n’importe quoi mais certains, excellents, sont un peu noyés dans la masse. Ainsi, les femmes dans le surréalisme m’intéressent beaucoup. Naturellement, j’ai vu l’exposition au Guggenheim de Venise [Surréalisme et magie : une modernité enchantée, NDLR] et j’ai été bluffé. Je trouve que les femmes ont une façon géniale de creuser l’inconscient, plus inquiétante, plus minutieuse que celle de nombreux hommes de l’époque. J’ai envie de raconter cette histoire avec notre regard d’aujourd’hui.

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