Par un jeu de superpositions et de soustractions incessant de la matière, les portraits de Julien Duquennoy se révèlent dans une veine « pop-expressionniste » à la fois violente et douce.
Par Gabrielle Gauthier
Avec Julien Duquennoy, il ne faut pas se fier aux apparences. Si ses portraits impressionnent voire même déroutent parfois, il suffit de s’éloigner de cette explosion de couleurs pour découvrir la douceur d’un visage, d’un regard, d’un museau… La peinture de cet artiste adepte du « lâcher-prise » est rapide et efficace. Les figures humaines ou animales qu’il imagine d’abord à partir de photographies sont ensuite malmenées, déconstruites, éclaboussées. L’artiste frotte, gratte, asperge de couleurs directement sorties du tube, frotte et gratte encore. Des gestes instinctifs qui rendent ses toiles aussi vivantes que vibrantes.
Déconstruire pour mieux reconstruire
Laissant place aux coulures, aux accidents, à l’usure…, Julien Duquennoy déconstruit jusqu’à l’abstraction pour mieux reconstruire. Il décompose et dissèque les formes pour retrouver
ensuite la figure. Des étapes nécessaires qui lui permettent de les rendre vivants, emplis d’émotions. Et le résultat porte les stigmates de ce jeu de superpositions et de soustractions incessant de la matière. La toile garde ainsi en mémoire ce laborieux cheminement, racontant à mesure qu’on la découvre son histoire mais aussi celles des figures d’origine totalement réinterprétées. Si l’on regarde de près chacune des toiles, c’est violent et brouillon. On comprend que les affres du temps ont fait leur travail. Mais lorsque l’on prend du recul, c’est beau et doux. Les secrets se révèlent enfin.
Pourquoi qualifiez-vous votre peinture de « lâcher-prise » ?
Je n’intellectualise pas ma peinture. Je peins intuitivement, presque en hypnose. D’ailleurs, lorsque je travaille, j’écoute des conférences ou de la musique afin que mon attention soit totalement absorbée. Ainsi, mon geste se libère.
Comment définiriez-vous votre style ? Et en quoi votre identité picturale est-elle si identifiable ?
Je change d’avis très régulièrement sur ce sujet. Entre expressionisme, figuration et abstraction…aujourd’hui je dirais plutôt pop… J’espère que mon identité picturale est profonde, légère et évolutive selon l’humeur et le regard qu’on lui porte. J’aime la peinture qui n’impose pas. C’est au spectateur de « choisir » ce qu’il voit. Pour moi, la photographie impose alors que la peinture suggère. Ainsi, je pense avoir la même « identité picturale » que ma peinture : je suis à la fois brouillon et rigoureux, dans le contrôle et dans le lâcher-prise, mélancolique et plein de joie, cool et angoissé… Ma peinture est pleine de paradoxes, elle me ressemble.
Comment choisissez-vous vos sujets ?
Comme par évidence. Concrètement, je sélectionne souvent un sujet ou une photo pour son contraste et pour ce qu’elle dégage. Je réalise des captures d’écran, parfois même des photos de profil Facebook de personnes que je ne connais pas, je m’en inspire puis
je les oublie pour que ma peinture prenne sa propre identité. Longtemps j’ai sélectionné par esthétique. Aujourd’hui, je sélectionne plutôt sur l’invisible. Je veux un modèle qui me questionne.
La figure humaine est-elle toujours votre sujet de prédilection ?
Oui, clairement. Ce qui me passionne, c’est la nature humaine. Mon ambition est de peindre des visages qui nous parlent, qui nous ressemblent. Mais je retrouve la « figure humaine » également dans les portraits d’animaux. Humaniser un regard animal nous plonge directement vers nous-même. Et leurs discours n’est que mieux compris… non ?
Votre recherche picturale porte également sur la couleur. Pourquoi ?
Je cherche à peindre le vivant et, pour moi, cela passe par la couleur, son énergie, sa vibration… Je suis convaincu qu’on ne voit pas tout ce que l’on peint, les peintures peuvent encore vibrer sans qu’on en voit la couleur. Ainsi, les accidents et les coulures participent à l’émotion. C’est pourquoi je gratte, je frotte pour donner aux couleurs quelque chose à raconter.
D’ailleurs, que symbolise pour vous les tonalités que vous privilégiez ?
J’aime les couleurs pures, celles qui sortent directement du tube. Je travaille sans palette. Le mélange, c’est l’œil qui le fera. Cette façon de procéder est pour moi un symbole : le spectateur devient ainsi peintre puisque c’est lui qui y met ses intentions.
Quel est votre processus de création ?
J’aime la routine, peindre est pour moi un acte « normal » : ni tenue particulière, ni mise en condition. Juste le plaisir de peindre
sans anticipation. Ainsi, je peins souvent sans savoir ou cela me mènera, c’est seulement plus tard que le modèle se révèle. Souvent, après beaucoup de couches successives, je lave mes toiles, je les recouvre, je les éclabousse, je les gratte, je les frotte… Un travail de soustraction et d’addition. Et c’est uniquement lorsque je réfléchis trop, que j’ai peur de continuer, de gâcher, que je décide finalement que la toile est terminée.
En quoi votre peinture est-elle une métaphore de la vie ?
Si on regarde de près, ma peinture est torturée et compliquée. En se reculant en revanche, les couleurs prennent vie avec douceur.