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DAVID HOCKNEY : insolent, audacieux, épicurien… et populaire !

Imposer la figuration sur la scène artistique d’après-guerre, le pari était osé alors que s’épanouissait l’abstraction. Déterminé, David Hockney s’est finalement imposé un demi-siècle plus tard comme l’une des personnalités les plus populaires et prisées sur le marché de l’art contemporain. Au musée Granet d’Aix-en-Provence, une rétrospective d’envergure rassemblant une centaine d’œuvres de la Tate donne la mesure de son talent, autant que de son audace.

J’ai toujours été fasciné par l’espace pictural, parce que le peintre peut tout simplement l’inventer et le faire fonctionner.

David Hockney

Londres, 4 mars 1979. Alors que le brouillard se dérobe avec l’arrivée des premiers rayons, une rumeur sourdre à l’ombre de la Tate Gallery et de son imposant portique néoclassique d’apparence inébranlable. David Hockney a fait paraître dans l’hebdomadaire britannique The Observer une tribune acerbe adressée aux conservateurs de l’institution. Le peintre dénonce leur politique d’acquisition qui, à ses yeux, cède au diktat de la mode en allouant une place trop importante à l’abstraction. Depuis, ce vœu de voir fleurir des œuvres figuratives sur la scène contemporaine a fait son chemin, et les liens tissés entre David Hockney et la Tate, renforcés au fil des années à la faveur de dons généreux, semblent désormais inébranlables. L’institution abrite aujourd’hui parmi ses plus grands chefs-d’œuvre et il suffit, pour s’en convaincre, de rejoindre le musée Granet d’Aix-en-Provence qui accueille cet hiver un florilège de cent trois œuvres de la Tate, retraçant sur six décennies le parcours de l’un des artistes contemporains les plus populaires dans le monde.

« Un bond en avant ! »
Dès les années 1950, le jeune David Hockney fait preuve d’une assurance étonnante dans ses choix artistiques. Le peintre britannique entend, à rebours des modes, renouer avec la figuration. À cette époque, le pari est osé. L’expressionnisme abstrait américain est au faîte de sa gloire, marqué par les mises en scène de Jackson Pollock qui inaugure sa technique du all-over. « Il y a en quelque sorte une tyrannie de l’image abstraite, aux États-Unis comme en Angleterre où vit Hockney alors qu’il se forme à la Royal Academy à Londres. Or, Hockney défend dès le début de sa carrière l’idée que l’art contemporain peut être figuratif, et va essayer de trouver une manière de se démarquer tout en restant dans la figuration », précise Bruno Ely, conservateur en chef et directeur du musée Granet. Le jeune peintre porte ses combats artistiques avec détermination et à ceux qui lui reprochent de prôner un retour à l’école du dessin d’après nature, il répond volontiers qu’il ne s’agit en rien d’un « retour », mais « d’un bon en avant ! ».

Ce combat artistique, l’artiste au caractère bien trempé le mène, sa vie durant, de concert avec un engagement personnel dans la reconnaissance de l’homosexualité qui, alors qu’elle est encore pénalisée en Angleterre, anime ses premières expérimentations. Ses amours, amis et amants, sont dès lors les sujets de compositions mêlant graffitis, formes phalliques et messages cryptés. « Autant de peintures dans lesquelles il inscrit les initiales d’amis et qui évoquent les œuvres de Jean Dubuffet avec leurs effets de matière et leurs empâtements », ajoute Bruno Ely.

Sous le soleil californien
En 1964, Hockney quitte Londres pour la côte ouest étasunienne, dont il s’éprend de la lumière étincelante et de la liberté propre aux grands espaces. La ville « sexy » de Los Angeles devient alors sa terre d’élection. Là, le peintre se délecte du climat favorable à l’épanouissement des corps de jeunes hommes dont il sublime les courbes alors qu’ils se meuvent sous une douche ou au détour d’une brasse dans un bassin. « Les Américains prennent tout le temps des douches… Pour un artiste, l’intérêt est évident : une personne sous la douche se donne à voir en mouvement, généralement de façon gracieuse, car elle caresse son corps », s’amuse-t-il, tandis qu’il détourne le sujet de l’homme ou de la femme au bain, récurrent dans l’histoire de l’art. Les piscines californiennes constituent un défi graphique pour l’artiste qui entend capturer les reflets lumineux et la transparence de l’eau. « Dessiner la transparence, c’est quelque chose d’intéressant, parce que visuellement, c’est travailler sur un sujet qui n’est pas là, ou presque totalement absent. Au contraire d’un étang, la piscine réfléchit la lumière. Ces lignes ondoyantes que je peignais sur les piscines, on les voit vraiment à la surface de l’eau », confie-t-il dans ses Conversations avec le critique d’art Martin Gayford publiées dans sa version française en 2011 aux éditions du Seuil.

Bruno Ely Musée Granet

« David Hockney s’est toujours montré avant-gardiste et audacieux en remettant en question notre perception du monde. »
Bruno Ely, conservateur en chef et directeur du musée Granet.

Une révolution du regard
« Il y a toujours chez Hockney une forme d’insatisfaction qui le mène à changer régulièrement de lieu d’habitation. À la fin des années 1970, il retourne ainsi en Angleterre où il développe les doubles portraits, des peintures à l’échelle donnant à voir deux personnages sur le modèle d’une Annonciation laïque », poursuit Bruno Ely. L’artiste prend pour modèle des membres de son entourage, ses parents ou amis, qu’il représente dans des poses décontractées au sein de leurs appartements. « Ces scènes familiales en intérieur sont des portraits typiques de la peinture anglaise du XVIIIe siècle, des œuvres qu’il connaît bien et qu’il détourne à sa manière », précise le directeur du musée Granet. Avec Mr. and Mrs. Clark and Percy, un couple d’amis et leur chat, Hockney se joue du portrait de mariage traditionnel, donnant une assise à l’homme au détriment de son épouse, ou prenant à partie le spectateur par un jeu de regards orientés hors du champ pictural. « Ces portraits sont basés sur l’incommunicabilité des personnages. C’est une façon pour Hockney d’introduire une forme de psychanalyse dans son œuvre », précise Bruno Ely. La fenêtre ouverte, autour de laquelle Mr. and Mrs. Clark prennent place, évoque alors la distance relationnelle qui, en une vision quasi prophétique, mettra fin à leur mariage.

Artiste prolifique, Hockney réalise un temps des décors et costumes pour des opéras et, s’il ne délaisse jamais le pinceau, expérimente de nombreuses techniques, échangeant volontiers la peinture à l’huile pour l’acrylique, l’aquarelle, l’estampe ou la photographie. À partir de ce médium, l’artiste se met en scène dans son atelier de Los Angeles en 2017 au sein d’un « dessin photographique » étonnant – In the Studio. Cette œuvre est le fruit d’un assemblage numérique de plus de trois mille photographies qui, ainsi réunies, forment un espace incohérent, sollicitant plusieurs points de vue. « Ce travail s’inscrit dans la continuité de la révolution du regard qu’a instaurée le Cubisme, de Cézanne à Picasso ».

Un artiste théoricien
Lorsqu’il ne travaille pas à l’atelier, Hockney revête l’habit de l’historien de l’art. Lors de conférences ou au sein d’ouvrages, l’artiste remonte le temps et étudie les œuvres du passé à l’aune de l’avènement de la perspective. Pour Hockney, la perspective linéaire, qui constitue depuis le Quattrocento le modèle dominant de la représentation picturale, n’est pas à même de reproduire fidèlement notre perception visuelle. « Comme Cézanne, Hockney prône la multiplicité des points de vue. L’œil humain n’est jamais figé, il est capable de percevoir plusieurs choses en un seul regard, au contraire de ce que l’on était habitué à voir depuis la Renaissance ». La photographie, faite d’une seule lentille sur le modèle de la camera obscura, ne trouve pas davantage grâce à ses yeux, alors qu’elle offre, à l’instar des chefs-d’œuvre du passé, un seul arrêt sur image. « Son travail de plasticien rejoint alors celui de théoricien. Lorsqu’il recourt à la photographie, il la pratique de façon démultipliée, pour traduire ce dynamisme et cette pluralité du regard. Il travaille par exemple à partir de centaines ou de milliers de Polaroid qu’il assemble pour créer une composition monumentale. En définitive, il invente une nouvelle façon de représenter le monde ».

À l’affût des nouvelles technologies, Hockney recourt volontiers aux outils digitaux que la modernité met à sa disposition. Lorsqu’il ne peint pas sur un Ipad, il s’attèle à restaurer des œuvres de grands maîtres au moyen de Photoshop pour mieux s’imprégner de leurs détails, crée de grandes toiles à partir d’assemblages numériques, imagine encore des installations vidéo sur les routes de l’Ouest américain ou au cœur de son Yorkshire natal. En 2010, il dote ainsi un camion de neuf caméras pour capturer le paysage au fil des saisons. Une fois synchronisées, les vidéos invitent à contempler l’espace comme s’il était observé simultanément à travers neufs pupilles. Ces expérimentations, qu’elles soient menées au moyen de la peinture, de la photographie ou de la vidéo, trahissent une même aspiration : saisir et ressentir le monde dans ses plus infimes détails, pour mieux appréhender, sans doute, sa richesse et sa complexité. Une quête dont les artistes seuls ont le secret s’ils prennent le temps de dessiner, composer et « fabriquer des images ». « J’ai toujours été fasciné par l’espace pictural, parce que le peintre peut tout simplement l’inventer et le faire fonctionner. C’est ce à quoi parviennent les grands artistes », confie encore David Hockney à Martin Gayford, avant de rappeler « qu’apprendre à dessiner, c’est apprendre à regarder ».

« David Hockney, collection de la Tate »
Du 28 janvier au 28 mai 2013
Du mardi au dimanche de 12 à 18h
Prix : 11 € / 9 €

Musée Granet
Place Saint-Jean de Malte
13100 Aix-en-Provence
museegranet-aixenprovence.fr

Instagram : @museegranet