Représentant majeur de la figuration narrative, ce créateur hors norme détonne avec des « représentations du monde » qui mêlent des univers opposés… que personne avant lui n’avait osé rapprocher.
Erró, présenté comme « l’artiste le plus prolifique qui ait jamais existé depuis Picasso » par l’essayiste Guy Scarpetta, se dévoile au Château de Vascœuil. Un magnifique écrin qui accueille entre ses murs une cinquantaine de toiles dont certaines monumentales mais aussi des collages, des aquarelles, des aquagravures, des digigraphies et des plaques émaillées, de quoi fêter dignement le 90ème anniversaire de cet artiste né en 1932 en Islande qui illustre depuis plusieurs décennies tous les mythes de notre temps. Installé à Paris depuis 1958, Erró, de son vrai nom Gudmundur Gudmudsson, ce grand voyageur n’a jamais cessé de dénoncer les aberrations de notre société à travers son travail pictural.
Une narration visuelle…
« Ce peintre particulièrement prolifique a couvert tous les sujets d’actualité des dernières décennies : de la politique à la culture, en passant par la publicité et la bande dessinée… Ses références permanentes aux événements du monde se font l’écho d’une histoire en morceaux qui en dit l’affolante confusion », souligne Philippe Piguet, critique d’art et Commissaire de l’exposition. Dès 1958, Erró exécute ainsi les dessins-collages de la série « Démasquez les physiciens, videz les laboratoires ! » (ou « Radioactivity ») d’après le tract surréaliste parisien du 18 février contre la bombe atomique. S’ensuivent rapidement ses premiers tableaux-collages puis, dès 1964, ses collages à partir d’images de la culture de masse, glanées lors de ses nombreux voyages autour du monde, qui donnent ensuite lieu à des tableaux. « Il me semble que je suis comme une sorte de chroniqueur, de reporter, dans une énorme agence qui rassemblerait toutes les images du monde, et que je suis là pour en faire la synthèse. J’ai besoin de matériel efficace et, au cours de mes voyages, je fouille partout chez les soldeurs de livres, dans les kiosques. J’accumule une quantité énorme et, lorsque j’ai réuni beaucoup d’images se rapportant à un thème, c’est signe de commencer une série. Le processus consiste ensuite à sélectionner les images, à les “marier” ensemble pour en faire des collages, puis des tableaux. Il n’est pas question de copier tout simplement le collage préparatoire, le projet se transforme au fur et à mesure que je le transpose sur la toile. C’est la main qui contrôle tout », explique-t-il.
… pour appréhender l’histoire
Pour dénoncer les travers de la société, l’artiste associe héros de bandes dessinées et de dessins animés, stars de cinéma, hommes politiques, dictateurs, personnages de toiles d’Ingres, Delacroix, Léger, Picasso, Dalí… le tout formant une composition hétéroclite, chromatique et surtout critique toujours teintée d’humour et pleine de dérision. Autant de messages visuels impactant que ce narrateur de génie conte avec un enthousiasme débordant. D’ailleurs, certains de ses tableaux sont reproduits dans des livres scolaires ! « De fait, par le truchement de l’art, Erró nous conduit à appréhender l’histoire, passée, présente ou à venir, avec un grand H ou non, sur un ton tour à tour grave et ludique, toujours enjoué », confirme Philippe Piguet. Témoignages éclairés de l’histoire humaine, les œuvres présentées au Château de Vascœuil nous offrent une (re) lecture du travail de l’artiste, un plaisir dont il ne faut surtout pas se priver. « Je peins parce que la peinture est la forme privée de l’utopie, le plaisir de contredire, le bonheur d’être seul contre tous, la joie de provoquer. J’ai aujourd’hui 90 ans et j’ai sans doute besoin de plus de gaieté autour de moi. J’ai envie que ces tableaux soient les plus animés possibles, qu’ils grouillent de partout, parce qu’avec l’âge on a besoin, non pas de plus de détails, mais de plus de richesse, plus de joie », conclut l’artiste. Une magnifique invitation !